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Guatemala-El Salvador-Honduras-Nicaragua



Guatemala


Moi, Bala et Eugène campons à la place centrale du petit village de Cuauthemoc, juste avant de franchir la frontière du Guatemala. Nous devenons rapidement l’attraction du coin, avec nos tentes, nos vélos et nos petits réchauds à gaz, les villageois n’en reviennent pas. Comment une chose si petite peut-elle produire une flamme si puissante? Par ailleurs, un commerçant, en apercevant Eugène cuisiner, tient absolument à obtenir son couteau. Il cherche alors, en vain, un objet quelconque en guise de troc. Il nous explique qu’il est monteur de ligne électrique et qu’un tel outil lui serait des plus pratiques. Eugène peine à lui dire non.


À la nuit tombée, c’est la fête à l’église. Nous sommes le 9 décembre, en pleine semaine de célébration de la vierge de Guadalupe. En Amérique latine, c’est une célébration des plus importantes. Jusqu’à tard dans la nuit, il y a chants, marches, feux d’artifice et explosions de pétards. Difficile de fermer l’oeil avec tout ce vacarme.


Le lendemain matin, nous reprenons la route tôt. Nous désirons nous rendre jusqu’à la ville de Huehuetenango, 80 kilomètres du côté du Guatemala. À ce sujet, j’ai remarqué avec le temps que les frontières sont généralement délimitées soit par des rivières ou des montagnes. Ici, ce sont des montagnes qui remplissent cette fonction. Nous avons donc une belle journée de montée devant nous. Nous devons tout d’abord nous arrêtez aux douanes mexicaines puis nous présenter aux autorités guatémaltèques. Le fonctionnaire mexicain ne semblait pas d’humeur à discuter ce matin-là. En regardant mon visa de touriste, il me demande où se trouve le reçu prouvant que je l’aie bien payé. Je l’ignore, évidemment, et toute argumentation s’avère inutile. Il m’assure que je dois repayer la taxe touristique et finalement se tourne vers mes compagnons en leur demandant si je parle Espagnol. Énervé, je sors en me disant que je n’en ai rien à faire de leur étampe pour sortir du pays. Erreur. Aux douanes guatémaltèques, 5 kilomètres plus loin (ou plus haut, dépendamment de la perspective géographique), les agents d’immigration m’apprennent que je peux sans problème entrer dans leur pays, cependant, que le Salvador ne me permettra jamais le droit de passage le tampon de sortie du Mexique. Bien que cela n’ait ni queue ni tête, je suis bien forcé de les croire. Avec l’expérience du Mexique, je sais que les formalités administratives n’ont pas toujours de sens par ici, et poser des questions n’arrange rien. Alors, sans grande conviction, je fouille mes sacoches à la recherche de la preuve de paiement manquante. À ma plus grande surprise, elle était là, au fond de l’un de mes sacs. Je retourne donc du côté mexicain et promets à mes amis cyclistes de les retrouver ce soir à Huehuetenango.


Tout le reste se passe sans inconvénient. Je suis rapidement de retour au Guatemala et je peux commencer à explorer ce nouveau pays. Premièrement, dans les villes, il y a du monde partout. Difficile de circuler, même en vélo. Les marchands de toute sorte, les chariots, les taxis-motos et les multiples piétons occupent la rue. Deuxièmement, la nature est magnifique. J’adore les montagnes parsemées de champs de café, de bananes et de maïs. La flore est verdoyante (après tout, la devise du Guatemala est Le pays de l´éternel printemps) et les torrents descendants des sommets sont riches de vie. Les grains de maïs et de café séchant sur la chaussée donnent un obstacle de plus aux cyclistes, bien que cela soit avec grand plaisir que nous les contournons. Troisièmement, le Guatemala est l’un des pays avec la plus forte concentration de population indigène. Par exemple, pratiquement toutes les femmes portent l’habit traditionnel, qui est toujours coloré. Pour moi, cette authenticité est l’un des plus grands charmes de l’endroit. Ils sont autochtones et ils l’affirment.


Arrivé à destination, je rejoins mes copains à l’hôtel faisant face au parc central de Huehuetenango. Nous sommes épuisés et n’avons aucune envie de cuisiner. Nous allons donc dans un petit resto familial où nous sommes rejoints par un couple de Canadiens parcourant l’Amérique centrale en moppette. Je les ai rencontrés pour la première fois à Comitán, au Mexique et je les reverrai quelques mois plus tard, au Panamá.


11 décembre, même routine ; nous montons pour rejoindre San Cristobal Totonécapan, près de Quetzaltenango. Des pentes encore plus escarpées, des bus (les chicken buses, de vieux bus scolaires des États-Unis et du Canada repeints et avec des moteurs plus puissants) qui crachent une fumée épouvantable et les enfants, sur le bord des routes, qui nous bombardent de « Hola gringo ! Adios gringo ! ». Sur le coup, j´ai pensé que ce fut ma plus dure journée de vélo à vie. Or, c´était loin d’être vrai, mon aventure me réservant encore d’autres surprises. Nous roulons maintenant parmi une forêt de conifères, ce qui me donne l’impression d’être de retour à la maison.

Cette nuit-là, nous sommes accueillis par un Américain retraité vivant depuis plusieurs années au Guatemala. Il nous permet de nous installer dans une sorte de jardin botanique miniature, dominé par une énorme maison ronde en bois franc. L’endroit est extrêmement paisible et charmant. Par contre, notre hôte insiste pour que nous allions faire une randonnée en montagne le lendemain. Outre le fait que nous sommes très peu équipés pour une telle expédition (je n’ai même pas de souliers, ne possédant que mes sandales pour le vélo), nous sommes épuisés. Nous n’aspirons qu´à une journée de repos et l’idée nous enchante guère. Moi et Eugene, sous l’insistance de l’Américain, acceptons tout de même l’offre, ne voulant pas vexer ce dernier et, il faut avouer, éprouvant une certaine curiosité à voir, comme il le prétendait, un volcan actif.


À la découverte du Santiagito

Enfin de compte, l’expérience en valut la peine. Nous marchons tout d’abord pendant quatre heures pour atteindre le site de campement pour la nuit. Nous traversons champs de café et forêts humides. Je ne savais pas que le fruit du café se mangeait alors, désireux d’y goûter, j’en gobe quelques-uns en cachette sur le chemin. C’est sucré, agréable en bouche. Au sommet, nous nous retrouvons en plein brouillard et ne pouvons pas apercevoir grand chose. Néanmoins, nous entendons un grondement puissant et continu. On nous informe que cela vient du volcan Santiagito, tout près. Il semblerait que ce soient les roches volcaniques déboulant de son flanc qui provoquent tout ce vacarme. Je suis sceptique.

Pourtant, sous le ciel étoilé, je suis bien obligé de leur donner raison ; la vue est maintenant dégagée et nous voyons parfaitement le volcan ainsi que la lave qui s’écoule de son sommet. Je suis médusé. Je n’avais jamais contemplé un tel spectacle auparavant. Le rugissement s’intensifie parfois pour laisser place à une bouffée de fumée suivit d’un flot d’énormes pierres rougeâtres. De l’autre coté, nous avons une vue sans fin, où luisent les villes et villages de la région. Je dors aux aguets ; dès que j’entends le grognement augmenter, je sors la tête de la tente pour admirer le comble de ce phénomène de la nature. Au lever du soleil, le volcan crache encore de grandes bouffées blanches. Suite à un rapide déjeuner, nous rangeons notre campement. Nous redescendons en prêtant le moins d’attention possible aux autocongratulations de notre hôte. Ses seuls sujets de discussion sont lui-même et ses exploits, ce qui nous intéresse peu. Les Guatémaltèques qui nous accompagnent se montrent beaucoup plus captivants. Ils m’apprennent quelques mots en Kiche, la plus importante langue indigène du pays :

Jachá - Bonjour

Jass a banic - Comment ça va ?

Lago Atitlán

C’est sur la route pour le lac Atitlán que je rencontre mes deux futurs compagnons de voyage. Alors que je montais une section de route afin d’atteindre mon plus haut sommet en vélo jusqu’à maintenant (à plus ou moins 3100 mètres d’altitude), Clément me rejoint et nous commençons à discuter (tout en continuant à pédaler). Français, tour du monde en bicyclette avec son copain Jérémy, 36 000 kilomètres de parcourus en Europe, Asie, Océanie et Amérique, reste l’Afrique et un an et demi, pour un total trois ans de voyage. Super ! Au sommet, nous prenons une pause tous les cyclistes ensemble et partageons plus amplement nos expériences. Nous parcourons ensuite un bout de chemin côte à côte avant de faire nos adieux : les Français empruntent la route passant au sud du lac et nous passons par le nord. Nous nous arrêtons une journée à Panajachel, une ville touristique de peu d’intérêt bordant le lac. Son énorme marché est ce que je préfère, où l’on y trouve de tout et n’importe quoi. Le lac en lui-même est très impressionnant ; grand et entouré de volcans. Se promener le long de ses berges est agréable.


Antigua

Notre prochaine étape est d’atteindre Antigua, l’ancienne capitale coloniale du pays. Nous pensions y arriver assez tôt, considérant que nous n’avions que 76 kilomètres à parcourir et que notre point de départ et d’arrivé se trouvent à la même altitude. La réalité fut toute autre. Les 30 premiers kilomètres, pour se rendre à Patzun, étaient équipés des pentes les plus escarpées qu’il m’a été donné de voir. Sans parler de l’état du pavée... Monter était dure, alors que descendre n’était guère plus plaisant. La profusion de nids de poule, l’inclinaison de la pente ainsi que les nombreuses courbes nous obligeaient à serrer les manettes de freins de toutes nos forces, au point d’avoir des crampes aux mains. Nos jantes de vélo chauffaient d’une telle façon que d’y toucher entrainait une brûlure certaine. Vraiment, me vient-il à l’idée, à quoi pensaient ces ingénieurs guatémaltèques ?


La ville d’Antigua me plait bien. C’est extrêmement touristique mais son architecture coloniale est admirable. Par contre, je ne la recommande guère en vélo ! Ses routes de pierres sont complètement impraticables. En ville, je fais la rencontre d’un Français, Franck, propriétaire d’une chocolaterie, marié à une Colombienne et vivant à Antigua depuis de nombreuses années. Je me régale de délicieux chocolats tout en discutant de la vie au Guatemala. En parlant de chocolat, il est faut de croire que les Guatémaltèques ont le loisir de consommer de délicieuses tablettes de chocolat noir aux noisettes ou autres raffinements de ce genre. Non, bien que le cacao y pousse en grande quantité, c’est plutôt en boisson chaude ou froide qu’il est consommé traditionnellement, parfois mélangé avec de la cannelle ou du maïs et généralement beaucoup trop sucré à mon goût. Même chose en ce qui à trait au café ; c’est normalement du café instantané avec une quantité énorme de sucre que l’on retrouve dans les demeures guatémaltèques (et un peu partout en Amérique latine). C’est une contradiction que je ne comprends pas. Comment peuvent-ils posséder de telles richesses sans pouvoir en jouir pleinement (à mon sens, du moins)? Asi es (c’est ainsi) me dirait-on. Enfin, nous finissons la soirée à boire des bières (la Gallo, typique du pays) dans un bar français (décidément, ce ne sont pas les Guatémaltèques qui sont propriétaires par ici).


Eugène doit se rendre au Salvador pour le 19 décembre, puisque sa famille le rejoint là-bas pour y passer le temps des Fêtes. Celui-ci m’invite à me joindre à eux et de passer quelque temps dans la villa qu’ils ont loué près de la Libertad (Salvador). J’accepte avec plaisir et l’accompagne dans sa hâte en parcourant les 270 kilomètres qui nous reste en 2 jours. Nous commençons par une grosse descente de 50 kilomètres jusqu’à Escuintla (où je dépasse mes records de vitesse précédents) avant de revenir dans la chaleur du niveau de la mer. Ensuite c’est plat, finies les montagnes. Quelques kilomètres avant la frontière du Salvador, un jeune homme nous invite à passer la nuit chez lui. Il ne m’inspire pas confiance mais finalement, comme nous n’avons nulle part d’autre où aller, nous acceptons. Plus tard, il tient absolument que nous mangions des Pupusas salvadoriens. Or, puisque les douanes sont fermés et qu’une file de 10 kilomètres de camions bloque la route, il décide alors d’essayer de traverser la frontière clandestinement par les chemins de campagne à bord de son VUS. Il nous déclare aussi qu’il est un puissant narcotrafiquant, qu’il a énormément d’argent et beaucoup de femmes. Oui, il est sous l’influence d’une substance quelconque. Moi et Eugène échangeons un sourire ; la situation est trop ridicule ! Il finit par se rendre compte que son plan ne marchera pas et nous faisons demi-tour. Nous mangeons dans une petite cantine puis allons nous coucher.


Nous partons avant le lever du soleil. Nous devons d’abord longer les 10 kilomètres de camions attendant de passer les douanes. Il n´y a aucun espace pour rouler, nous sommes obligés d’emprunter le mince corridor entre les 2 voies de la route. Les camionneurs patientent, le shotgun aux mains, prêts à s’en servir si besoin est. Les gens souffrent d’insécurité par ici et le moindre objet de valeur est fortement protégé, alors imaginez tous ces camions aux arrêts avec leurs précieuses cargaisons... De toute façon dans les pays de Centro America (Guatemala, Salvador Honduras, Nicaragua), tout petit commerce qui se respecte est solidement armé.


El Salvador

Un Noël sous les tropiques


La villa louée par la famille de Eugène est superbe. Avec plusieurs chambres, une grande terrasse, une piscine et la mer tout près, c’est l’endroit parfait pour célébrer. Ses parents et ses deux frères arrivent le même soir que nous. Bala et les deux cyclistes français (rencontrés au Guatemala) se joignent à nous deux jours plus tard. Puis, de nombreux amis québécois (de Sherbrooke) débarquent au cours des jours qui suivent. C’est une ambiance de fête agréable qui règne. Bala nous cuisine de succulents caris venants directement d’Inde (son pays natal), Diana, qui prend soin de la villa, nous apprend comment préparer nos propres Pupusas (plat typique salvadorien) et les Français nous font boire des Ti-punchs. Nous passons de bons moments tous ensemble. L’accueil et la générosité de nos hôtes sont sans égaux. Merci beaucoup à toute la famille.


Une semaine plus tard, je poursuis mon chemin mais cette fois en compagnie des deux Français, Jérémy et Clément. Cette union s’avèrera des plus durables puisque nous voyageons toujours ensemble à ce jour. Ceux-ci ont beaucoup d’expérience en matière de cyclotourisme et m’apprennent pleins de trucs pratiques, notamment leurs fameux sandwiches sardines-sauce tomate-avocat ou encore beurre de cacahouètes-carottes (de la haute gastronomie française) ! Bon, et aussi de nombreux conseils sur la mécanique de bicyclette et sur le matériel à avoir avec soi. Nous suivons la route longeant la mer jusqu’à Usulután puis prenons la gauche vers le volcan Santiago de María. Un petit col de 1000 mètres nous permet de retrouver la fraîcheur des montagnes. Au sommet, nous mangeons la même chose qu’à tous les midis ; des pupusas. Les pupusas sont comme des crêpes de maïs petites et épaisses, fourrées à la viande, aux fèves, au fromage ou encore au poisson. A .25 $US chacun (c’est l’argent américain en vigueur au Salvador), nous en avalons entre 4 et 8 par personne par repas. Il y a généralement une salade de choux épicée en accompagnement. C’est probablement cette dernière qui a eu raison de nous cette soirée-là…


A peine sommes-nous redescendu de l’autre côté de la montagne que Clément ne peut plus se tenir debout. Il y mal au ventre et c’est de peine et de misère qu’il suit derrière. Nous nous arrêtons dans une station d’essence afin de faire le point. Puis, je commence à avoir des crampes à l’estomac. Nous poursuivons tranquillement en se promettant de demander à la première maison que nous croisons pour camper. Un peu plus loin, au côté d’une église, un vieux monsieur nous accueille le sourire aux lèvres. Je m’écrase dans la tourbe (c’est rare la tourbe par ici mais celle-là était vraiment belle) et je m’enveloppe dans mon sac de couchage, incapable de faire quoi que ce soit d’autre. Clément fait de même un peu plus loin. Je finis par rendre dans la pelouse mon dîner du jour. A mon plus grand écœurement, un chien s’empresse de le manger. Pourtant, je me dis qu’il faut le comprendre, les chiens, domestiques ou non, étant rarement nourris dans ce coin du monde. Ce que je n’ai pu manger est pour lui un festin. Finalement, moi et Clément nous nous échangeons à tour de rôle l’accès aux toilettes. Seul Jérémy s’en tire bien. Il boit tranquillement de la bière en discutant avec des locaux.


Alors, une journée de repos s’impose. Le lendemain, moi et Jérémy parcourons les 15 kilomètres qui nous séparent de San Miguel pour aller chercher des médicaments. Le centre-ville est rempli de gens. Au parc central, une fillette (de dix ans, tout au plus) nous frappe parce que nous ne voulons pas lui acheter de gomme à mâcher. Elle nous a étiqueté gringos. Un gringo est, dans les faits, un touriste américain. Or, peu importe pour les locaux que tu sois Canadien, Européen ou Américain, cela revient au même. On m’a déjà affirmé que le Canada fait parti des États-Unis ou encore que l’Europe se trouve en Amérique du nord. La différence leur importe peu, et l’influence des États-Unis est telle qu’il est le symbole même de la société occidentale. Nous sommes des gringos (surtout si tu as les yeux bleus et cheveux blonds, comme moi) et, pour beaucoup, cela signifie que nous avons de l’argent. Nous avons beau leur expliquer que nous voyageons en vélo et vivons modestement, peu sont convaincus (ou ne comprennent tout simplement pas pourquoi nous faisons cela). Pourtant, sincèrement, je dois leur donner raison; nous sommes plus riches que la majorité d’entre eux, avec leur salaire de crève-faim.


Honduras


Deux jours plus tard, nous atteignons le Honduras. Ce pays est classé, depuis quelques années, le plus violent au monde. Le trafique de stupéfiant de l’Amérique du sud vers l’Amérique du nord passe inévitablement par l’Amérique centrale. Le Honduras, ainsi que le Salvador et Guatemala, servent de corridor pour les narcotrafiquants. La forte présence de groupes armés et la guerre que se livrent les différents clans explique ce haut taux d`homicides.


Donc, nous ne passons que 3 jours dans ce nouveau pays. Pas que nous soyons forcément en danger ; nous traversons la partie sud, qui est moins risqué. San Pedro Sula, dans le nord près de la côte caraïbe, est la ville la plus dangereuse (au monde, nous dit-on). Seulement, nous ne voyons pas de raison de nous attarder davantage. Par ailleurs, les quelques personnes que nous rencontrons sur le chemin nous traitent avec grande courtoisie. La situation tendue du pays ne signifie pas pour autant de l’animosité envers les étrangers.


Il fait chaud ; le temps est sec et venteux. C'est un paysage de petites collines jaunâtres qui s’offre à nous, ce qui est assez jolie d’ailleurs. Nous sommes partis ce matin de la frontière du Salvador et nous nous rendons directement à Choluteca, où un hôte warmshower nous attend. La journée est longue, nous arrivons à la nuit tombée. Rafael est un Hondurien ayant fait des études en Espagne. Il vit dans un cartier aisé de la ville, qui est surprotégé. Nous sommes le 31 décembre au soir, nous buvons donc quelques bières pour célébrer. Or, épuisé, je m’endors vers 10h sur le canapé. Pour le jour de l’an, nous décidons de rester tranquille et en profitons pour faire une lavée. À l’extérieur, l’air est extrêmement sec et il vente énormément. Cela ne prend que quelques minutes pour sécher notre linge.


Nicaragua

Dans les plaines du nord


Puis, le 2 janvier, nous faisons déjà nos adieux au Honduras pour partir à la découverte du Nicaragua. Outre la taxe de 12 $US à l’entrée, le Nicaragua nous surprend par ces prix dérisoires. Il est en effet le pays le plus pauvre d’Amérique centrale. Le salaire hebdomadaire moyen y est de 138 $ US par semaine, soit 3,25% de la moyenne canadienne[1]. À la frontière, comme à notre habitude, nous échangeons les Lempiras honduriens qui nous pour des Córdobas nicaraguayens.


Cette partie nord du Nicaragua est verdoyante, parsemée de nombreux pâturages. Les maisons sont sur pilotis, ce qui signifie qu’en saison de pluie l’endroit doit être inondé. Heureusement, nous sommes en pleine saison sèche, ce qui est l’été pour eux. Lorsque nous jugeons avoir assez roulé pour la journée, nous ouvrons la barrière du premier champ que nous rencontrons et nous y installons notre campement. Il y a quelques arbres, une herbe douce, quelques ânes par-ci, par-là et un étang pour se laver. Nous avons également une magnifique vue sur le volcan San Cristóbal. Dans la marre brune, nous filtrons l’eau nécessaire pour le lendemain (mes compagnons ont un superbe filtreur d’eau avec eux, ce qui est très pratique puisque l’eau courante n’est pas potable dans cette partie du monde, mais c’est également une tâche fastidieuse, surtout dans une marre) et les deux Français y prennent leur bain (personnellement, la couleur brune de l’eau me rebute, néanmoins, à l’avenir, j’apprendrai à être moins capricieux). Plus tard, des bergers arrivent. Ils sont eux aussi armés de fusils semi-automatiques et heureusement, se semblent pas s’offusquer de notre présence. Au contraire, cela les fait rigoler de trouver des Gringos au milieu de leur champ. Nous pouvons dormir en paix, nous assurent-ils.


Notre route au Nicaragua se poursuit par Chinandega, Leon et Managua. Dans les villes de Leon et Managua (la capitale), nous profitons de l’hospitalité des pompiers. Les stations de pompiers, partout en Amérique latine, peuvent servir de refuge pour les voyageurs. Il suffit de leur demander. Ceux-ci, malgré leurs installations très modestes, nous accueillent parmi eux. Leon est l’un des points touristiques du Nicaragua, en raison de son architecture coloniale. La ville est parsemée de petits restaurants et boutiques, adaptée aux étrangers. Managua est tout le contraire. C’est une agglomération énorme, sale et peu attrayante. En s’y promenant le soir, je n’aperçois que tavernes lugubres par-dessus tavernes lugubres, des maisons de tôle partout, des gens couchés par terre ainsi que des ruelles (de terre battue) pleines de déchets et non-éclairées. Étonnamment, l’aspect sombre du quartier m’enchante, ayant l’impression de me retrouver dans une ancienne cité du Moyen-âge. Je suis particulièrement surpris de constater que le simple fait de ne pas posséder de lampadaire change totalement l’aspect de la ville. Après cette petite excursion, je retourne chez les pompiers pour me coucher, m’y sentant en sécurité.


Le vent est ce que je trouve le plus dure ces jours-ci. Ici, il commence à souffler tôt le matin et ne s’arrête pas de la journée. Je peine à suivre mes compagnons. Nous roulons sur du plat, nous devrions pouvoir avancer rapidement alors que ce n’est pas du tout le cas. La force des courants d’air nous retient et nous englobe, nous isolant de ce qui nous entoure. Je dirais que, étrangement, cela nous confronte à nous-mêmes, teste notre détermination. C’est aussi dur mentalement que physiquement. Au moins, la fraîcheur du vent réduit la chaleur environnante (sans pour autant bloquer les rayons UV, ce qui peut être traître).


À l'est du lac Nicaragua

En sortant de Managua, nous empruntons un petit chemin de terre partant vers le sud (de San Benito). Celui-ci zigzague entre les terres et se sépare en plusieurs petits chemins, ce qui est confondant. Nous parvenons tout de même à atteindre le petit village de Malacatoya, où nous dînons dans un petit resto… pour accompagner le repas, rien de mieux qu’un litre de bière fraîche chacun. Nous repartons du village tout doucement, en titubant légèrement. Lorsque la noirceur arrive, nous sommes toujours en quête d’un abri pour la nuit. C’est finalement dans la cours d’école du minuscule village de El Palo que nous posons les tentes. Il y a peut-être une vingtaine d’habitations tout autour, et l’une d’entre elle nous offre deux chaudières d’eau ; une à filtrer pour consommation et l’autre pour se laver. Quelques louches d’eau chacun en guise de douche, c’est tout ce dont nous avons besoin. L’eau n’est pas toujours facile à trouver, alors nous apprenons à faire avec peu. Après 93 kilomètres, dont 60 de chemins de terre, nous étions brûlés (ou cuits, comme diraient les Français).


Le jour suivant, nous rejoignons la route qui descend à l’est du lac Nicaragua. Le terrain est plus vallonné par ici, avec une végétation forte. Les montagnes tout près bloquent les courants de vent venant de l’est. De plus, ce parcours est exempté de touristes, ceux-ci préférant se dorer la pilule le long de la côte pacifique. Voilà qui est parfait pour nous. Nous faisons un bref arrêt à Juigalpa afin de reprendre contact avec la civilisation. Puis, quelques kilomètres plus loin, il se met à pleuvoir. Moi et Clément sommes un peu en avant et trouvons abri sous un arbre. La pluie terminée, nous attendons Jérémy. Au bout d’un certain temps, comme celui-ci n’arrive pas, nous retournons en arrière à sa recherche. Nous retrouvons son vélo en réparation sous le porche d’une maison. Notre ami cycliste, nous explique-t-on, est reparti à la ville en bus afin d’acheter une pièce pour son vélo. En raccommodant une crevaison puis replaçant la roue entre les fourches, il a brisé l’axe du moyeu. Nous l’attendons et à son retour, puisque le jour est déjà avancé, demandons l’hospitalité aux gens que nous venions de rencontrer. La vieille femme, propriétaire du domicile, accepte sans hésitation. Elle a déjà reçu des bénévoles dans sa demeure, œuvrant pour sa communauté, nous dit-elle, et elle a une très bonne opinion des étrangers. Elle nous offre même un repas, fèves, plantain et riz (la base de l’alimentation de nombreux pays que nous traversons) avec café sucré, qui nous ravi.


Nous voulions absolument voir le lac Nicaragua, au moins une fois. Cette immense étendue d’eau en pleins cœur de l’Amérique centrale à quelque chose d’impressionnant. Puis, nous avons entendu des rumeurs selon lesquelles les Américains prévoyaient construire un deuxième canal de Panamá traversant le lac de chaque côté, offrant un deuxième passage au milieu du continent américain aux cargos de marchandise. Cela, bien entendu, bouleverserait complètement l’écosystème alors, mieux vaut admirer cette merveille de la nature avant qu’elle ne disparaisse. Voilà pourquoi nous décidons de faire un aller retour pour camper une nuit aux abords du lac. De la route principale, le village de Morrito, aux berges de l’étendue d’eau, se trouve à 22 kilomètres. Cette petite distance s’avère en fin de compte plus compliquée que prévu ; nous grimpons collines par-dessus collines, munies de pentes dignes du Guatemala. En sueur, nous atteignons le hameau à la recherche de nourriture. Nous trouvons de quoi nous rassasier, suivi de bière fraîche, de quoi nous désaltérer. Suite à cela, nous nous lavons dans les eaux du lac. Puisque les berges sont marécageuses, nous allons au bout du quai, sautons une fois dans l’eau, nous savonnons et replongeons pour se rincer. Vient alors le temps de trouver un endroit où dormir. Nous empruntons un modeste sentier nous menant à l’extérieur de la communauté. Il y a une belle tourbe toute moelleuse, nous y jetons les tentes. Pour couronner la journée, nous achetons un ananas pour le déjeuner de demain.


San Carlos est notre dernière étape au Nicaragua. De cette ville, nous allons prendre un petit traversier pour se rendre au Costa Rica. Nous pensions tout d’abord suivre le pont nouvellement construit mais l’on nous apprend que celui-ci est réservé pour usage officiel. Tant pis, une ballade en bateau sera certainement agréable. Après une longue journée de vélo, nous nous essayons en premier lieu chez les pompiers pour demander l’hospitalité. Comme cela arrive par moment, ceux-ci refusent. Nous pédalons alors jusqu’à la Croix-Rouge en espérant y trouver refuge. Il est trop tard, elle est déjà fermée. Cependant, un des employés, à force de discuter avec nous, nous invite chez lui. Il demeure dans les parages et a une chambre pour nous accueillir. Balbino (tel est son nom), sa femme et sa fille nous prennent sous leur aile et ils sont d’une hospitalité remarquable. De surcroit, les deux Français étant malades, un toit pour se reposer est des plus bienvenus. Ils sont évidemment intrigués par notre aventure et nous posent pleins de questions. Nous passons une autre soirée en bonne compagnie.


À l’aube, nous descendons au port afin de s'informer comment embarquer dans le petit traversier. Il y en a un qui part à 10 h mais, avec nos vélos chargés, nous sommes obligés d’attendre la traversée de 16 h. Nous observons donc la ville le restant de la journée, buvant du café, à l’abri de la pluie. C’est la dernière image que j’ai du Nicaragua.


P.S. : Un grand merci à Sylvain Charbonneau, professeur de français au cégep de Sherbrooke, pour son aide à la rédaction.


[1] «Les salaires au Nicaragua», [http://www.journaldunet.com/business/salaire/nicaragua/pays-nic], (consulté le 23 avril 2015).


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