top of page

La Bolivie : en vélo sur l’Altiplano

Pour traverser la Bolivie en vélo, il faut être prêt à rouler en altitude. En effet, une grande partie du pays est formé par l’Altiplano, ces hauts plateaux andins se situant aux alentours des 3500 m d’altitude. Il y règne un climat aride et rude, voire désertique. L’Altiplano occupe la partie ouest du territoire, tandis que la partie orientale est formée de terres basses au climat tropical : le bassin amazonien dans le nord-est du pays et le bassin de la rivière Paraguay dans le sud-est.


La population de la Bolivie est approximativement de 10 millions d’habitants, dont la majorité sont des indigènes vivant sur l’Altiplano. Il y a principalement les peuples des Quechuas, comme au Pérou, et les Aymaras, une autre tribu indigène des Andes.


Avec mes deux comparses français Jérémy et Clément, ainsi que Romain, leur ami qui nous a rejoints au Pérou, nous entrerons par le nord du lac Titicaca, descendrons par La Paz, prendrons ensuite plein sud pour franchir un col à 5 145 m, puis repartirons vers l’ouest pour revenir sur l’Altiplano et rejoindre les déserts de sel de Coipasa et d’Uyuni. Finalement nous irons par le sud-est pour rejoindre l’Argentine (par Villazon). De façon globale, la Bolivie c’est 25 jours, dont 21 de vélo, pour un total de 1 388 km. Cela se traduit donc par 66 km/jour (sans les jours de pause), une moyenne plutôt basse. Cela s’explique par le fait que les chemins sont en si piètre état qu’il s’avère difficile de battre des records de distance. À titre d’exemple, notre plus grosse journée fut de 101 km et ce fut sur une route pavée plate. De plus, il est intéressant de noter que nous avons fait très peu de camping en Bolivie (5 nuits), considérant le climat très rude de ce pays (du moins, par où nous sommes passés). Nous avons plutôt opté pour dormir chez l’habitant (9 nuits) ou encore demander dans les écoles (7 nuits). Les paysans boliviens sont généralement accueillants et n’hésitent pas aider les étrangers.


Par le nord du lac Titicaca

Tel que mentionné lors du précédent article (Pérou au royaume des Incas), nous avons opté pour longer la rive nord de l’énorme lac Titicaca afin de franchir la frontière Pérou-Bolivie. Le 22 août 2015, nous arrivons à Puerto Acosta, le premier village bolivien sur notre route. Le chemin pour y arriver est extrêmement accidenté, ce qui nous donnera un aperçu de l’ensemble de la Bolivie! Il faut rajouter à cela que plusieurs pistes partent dans tous les sens et que nous devons à chaque intersection nous arrêter et chercher le berger le plus proche qui pourrait nous indiquer vers où se trouve la Bolivie. Il n’y a évidemment aucune signalisation et aucun repère quelconque. De plus, nous n’avons vu aucun véhicule motorisé circuler par ici.


Le village de Puerto Acosta n’a rien de particulier, si ce n’est des amoncellements de déchets qui trainent un peu partout. Nous nous logeons à l’école du village, la concierge accepte que nous occupions une des salles de classe. Pour dîner et souper, nous avons droit à notre première spécialité bolivienne, soit du fromage frais grillé avec du riz et une sauce aux légumes assez appétissante. Par contre, étrangement, aucun des locaux ne mangent la même chose que nous. À vrai dire, on ne nous propose même pas un menu différent.


De Puerto Acosta jusqu’à La Paz, nous mettons trois jours. Nous traversons par ici des communautés qui se disent Aymaras et qui sont très enclines à nous parler en Aymara pour ensuite s’esclaffer! J’ai particulièrement été touché par les villageois d’Escona. Nous sommes arrivés un dimanche, en milieu de journée, dans cette petite communauté qui se trouvait en pleine célébration. À ce que nous comprenons, tous les dimanches les gens se ressemblent et partagent ensemble un festin. À cette fin, toutes les femmes préparent un plat qu’elles apportent et offrent à la communauté pour participer aux célébrations. Elles étendent cette nourriture au milieu de la rue dans leurs grandes écharpes (aux vives couleurs) qu’elles utilisent comme sac à dos. Tous sont invités à se servir. De plus, une partie de soccer a inévitablement lieu, souvent c’est un affrontement entre le club local et une équipe des environs.


En nous voyant arriver, les villageois (un groupe d’hommes) se sont précipités pour nous inviter à leur banquet. Nous avons accepté avec joie, mais avec une certaine gêne, car tous se sont interrompus dans leurs discussions pour nous regarder, un petit sourire aux lèvres. Il y a surtout des patates (bouillies, mais également séchées et gelées, ce qui est typique de l’Altiplano) du maïs, de petits poissons frits et de multiples sauces délicieuses. Nous discutons ensuite avec les hommes qui sont curieux de savoir ce que nous faisons là. Les femmes se tiennent bien à l’écart et il semble difficile d’entrer en contact avec elles.


Un peu plus tard, un camion de transport arrive et souhaite ardemment passer. Les villageois avec leurs festivités bloquent la rue principale. Or, ils n’ont aucunement l’intention de se déplacer pour laisser passer le camion. Celui-ci n’aura d’autre choix que de rebrousser chemin et de trouver une alternative.


Nous remercions nos nouveaux amis et reprenons notre chemin. Avant notre départ, ceux-ci nous offrent les restants de leur festin. Nous les acceptons non sans une certaine hésitation, car il reste surtout des patates déshydratées, que l’on nomme « chuños ». Il y a plusieurs sortes de chuños et ils sont très répandus sur l’Altiplano bolivien et péruvien, c’est un plat traditionnel des indigènes. Ces derniers peuvent facilement procéder à la déshydratation des patates grâce au climat propice de l’Altiplano, avec son temps sec et son soleil ardent pendant le jour et une température en dessous de zéro, la nuit. Puis, précisons qu’à 3 700 m d’altitude, pas grand-chose ne pousse, à part…des patates. Je ne sais pas si vous avez déjà mangé des patates déshydratées, disons que c’est assez infect, personnellement j’essaie d’éviter. Or, ici il y en a partout, ça tombe mal!


La nuit du 24 août, nous dormons sur l’île de Cojata. Il y a un chemin partant de la rive qui rejoint l’île et nous avons décidé que pour notre dernière nuit près du lac Titicaca, nous dormirons là-bas. Il n’y a pas grand-chose sur l’île, si ce n’est de quelques habitations et d’une école. Nous demandons alors à tous les gens que nous croisons si nous pouvons camper dans la cour de l’école, mais personne ne peut nous renseigner. Une femme est présente sur les lieux, mais elle refuse de nous adresser la parole, prétextant ne pas parler espagnol. Le responsable de l’école n’est pas là, nous le cherchons partout. Finalement, puisque l’endroit est désert, nous décidons de monter nos tentes sans plus attendre. La femme muette s’énerve soudainement, mais finit par laisser tomber et partir. La nuit venue, le gardien de l’école, informé de notre présence vient nous parler. De prime abord, il refuse que nous campions là, prétextant que nous pourrions voler l’école. Je ne sais pas si vous avez déjà vu une école de campagne bolivienne, mais je peux vous assurer qu’il n’y a pas grand-chose à voler (aucune technologie telle qu’elle soit), surtout si vous êtes en vélo. Cela se conclut à « l’honorable » ; nous lui présentons nos passeports et lui suggérons de prendre nos numéros de documents en note (comme cela se fait souvent dans les institutions publiques). Il est rassuré et nous pouvons nous reposer. Le lendemain matin, la rosée est tombée et tout est gelé, les tentes les premières.


À La Paz, nous restons à ciudad Satelite, au nord de la ville. Une Française œuvrant dans la ville nous accueille dans son appartement. C’est l’heure des séparations, Romain doit prendre le bus pour Cuzco (au Pérou) où il prendra son avion pour retourner en France. En tout, il est resté trois semaines avec nous, de la ville de Cuzco jusqu’ici. Nous demeurerons trois jours chez Pauline (nom de la sympathique Française) afin de nous ressourcer.


Le col à 5145 m.

De La Paz, nous avons plusieurs options de chemins. Nous savons que nous voulons traverser les déserts de sel, plus à l’ouest, mais hésitons sur le chemin à suivre pour les atteindre. Nous pouvons soit descendre par la célèbre « route de la mort » par le sud-est, soit suivre l’Altiplano en route direct ou encore… passer entre les deux, par un col à 5145 m. Nous retiendrons cette dernière option et pour cause : nous avons déjà grimpé jusqu’à 4900m quelques fois, sans jamais atteindre les 5000 m, ce qui nous apparaît comme un manque à combler. Traverser toutes les Andes en vélo sans passer au-dessus des 5000 m nous semblait aberrant… ce qui est en réalité plus ou moins vrai. Malgré le fait que de nombreux sommets dépassent les 5000 m dans les Andes, très peu de chemins atteignent une telle altitude. Et encore, faut-il que le chemin soit praticable. Il y a généralement très peu de raison rationnelle de construire une voie si haute dans les montagnes puisque le climat rude offre très peu d’intérêt pour y construire des habitations. Seulement, les compagnies minières et les gens comme nous y voient des avantages.


Nous partons le 29 août de La Paz en direction de Caxata, passant par les villages de Mecapaca et Palomar. Vous donnez la liste exacte des villages par lesquels nous sommes passés serait inutile considérant que la plupart n’apparaissent sur aucune carte. C’est d’ailleurs l’un des gros problèmes de la Bolivie, il est très difficile (peut-être impossible) de trouver une carte précise du pays, la plupart indiquant de fausses routes, ou n’indiquent pas toutes les routes, ou indiquent des villages qui n’existent pas, ou qui ont changé de nom, etc. Pour notre part, nous utilisons googlemap qui semble l’une des meilleures références, ou encore nous suivons les informations disponibles sur le site Andesbybike.com lorsque c’est possible. Reste que pour cette partie de chemin, nous n’avions que peu d’information utile sur la voie à suivre, à l’exception qu’il y avait un passage à 5000 m. Nous avons, au final, mis le double du temps que nous pensions mettre pour franchir le col en question. Peu importe, nous nous en sommes tout de même bien sortis.


Au sortir de La Paz, nous suivons la rivière La Paz descendant vers le sud. Le chemin devient rapidement impraticable et notre rythme ralentit. Bien que techniquement nous descendons en altitude, nous n’avons l’impression que de monter. Nous avons seulement parcouru 25 km que déjà nous nous sommes trompés de chemin. Nous avons manqué le pont pour franchir le cours d’eau. Nous devons donc traverser la rivière à pied afin de rejoindre l’autre rive, car revenir en arrière n’est pas une option considérable pour nous. Nous dinons au village de Palomar. Ensuite, le chemin que nous avions prévu prendre remonte raide dans les montagnes jusqu’au village de Cohoni et redescend de l’autre côté. Il y a également un chemin qui continue en descendant la rivière. Nous demandons à des locaux et ceux-ci nous assurent que les deux voies mènent au même endroit. Bien que ce chemin n’apparaisse sur aucune des cartes que nous avons, nous optons pour le passage suivant le cours d’eau. Techniquement, cela devrait nous mener au bon endroit. Le soir, nous campons au village de Tirata. Le climat est plus agréable par ici, nous avons considérablement descendu en altitude. Le lendemain, nous suivons de nouveau la rivière. Nous sommes tout près de l’Illimani (6462 m), le deuxième plus haut sommet de Bolivie. La région est très sèche, il n’y a que dans le lit de la rivière que la verdure peut s’épanouir. Les habitants profitent de ce cours d’eau pour cultiver, pour ensuite faire le chemin jusqu’à La Paz afin de vendre leurs produits au marché. La plupart des gens que nous croisons vivent de cette façon. Nous traversons de nombreuses fois la rivière à gué, car il n’y a aucun pont dans les parages. L’après-midi, nous arrivons dans la minuscule population de Lorata. Nous nous arrêtons un moment, car Jérémy doit réparer une crevaison. Un villageois, nous voyant assis près de chez lui, nous apporte de quoi manger. Nous lui sommes très reconnaissants, car, en plus d’être délicieux, c’est exactement ce dont nous avions besoin en ce moment. Nous commençons à douter que nous ayons assez de nourriture jusqu’au prochain petit marché. D’autre part, un autre paysan nous informe que nous pouvons passer la nuit dans le local appartenant (je pense) au syndicat des agriculteurs du coin. Nous n’en demandons pas plus et passons l’après-midi à nous rafraîchir près d’un cours. Nous sommes maintenant à 1680 m d’altitude, nous n’avons pas été aussi bas depuis des lustres. Il est si agréable de quitter le climat épuisant de l’Altiplano (et des altitudes en général) pour se retrouver ici, dans un endroit où la température est modérée, où le soleil ne vous donne pas des migraines à longueur de journée et où vous ne vous gelez pas les couilles chaque nuit. Néanmoins, nous sommes à notre point le plus bas, dès demain nous recommencerons à monter en altitude. Le soir, nous avons voulu acheter les légumes nécessaires pour notre souper aux gentils agriculteurs de cette communauté, mais ceux-ci nous les ont donnés de bon cœur.


Le jour suivant, nous partons dès l’aube. Nous avons une montée de cinq km, une descente pour revenir au niveau de la rivière, une seconde montée de neuf km, une nouvelle descente, une troisième montée de sept km et une petite descente suivie d’une dernière montée jusqu’au prochain village. Ces 41 km nous ont occupés pendant toute la journée. Notre plan initial était d’atteindre le village de Araca (qui était inscrit sur nos cartes), qui devait se trouver beaucoup plus loin et que finalement nous ne trouverons jamais. Nous n’avons pas fait 10 km que nous avons déjà tous les trois une crevaison. Le chemin est désertique, dans tous les sens du terme. Nous sommes entourés de roches et de cactus (aucune source d’eau après avoir quitté la rivière) et aucune habitation ne se trouve sur notre chemin. Le soleil ne se gêne pas pour nous chauffer la couenne. Nous croisons deux voitures et une moto cette journée-là. J’aperçois un condor des Andes qui passe tout près de moi, volant à flanc de falaise. Il profite de l’air chaud provenant du fond de la vallée pour s’envoler par-delà les montagnes. Il monte plus rapidement que nous. Par ailleurs, cela implique qu’il y a beaucoup de vent par ici, puisque nous roulons en zigzaguant le long d’une paroi et que rien ne nous protège des forces d’Éole. Le soir tombé, nous arrivons au village de Torrepampa. Don Ramon, un fermier respecté de la communauté nous invite à passer la nuit chez lui. À notre plus grand bonheur, il y a trois lits disponibles. Nous sommes choyés, et remercions grandement Don Ramon pour cet honneur. Curieusement, sa femme nous boude et ne semble pas apprécier la présence d’étrangers dans sa demeure. Autre élément cocasse, un combat de coqs a lieu à la place centrale lors de notre arrivée dans le hameau. Et j’oubliais…j’avais commencé un exercice avec mes compagnons français, je leur demandais chaque jour de me donner un mot pour décrire notre journée. Aujourd’hui, ils m’ont déclaré que «raide» (Clément) et «crevaison» (Jérémy) sont les mots qui, selon eux, décrivent le mieux notre journée.


1er septembre, nous parcourons une distance ridicule de 18 km pour finir au village de Cairoma. Pourquoi? Trop pentu, impossible d’avoir un rythme raisonnable. Puis, Cairoma est le dernier village avant le col à 5100 m que nous voulons franchir. Mieux vaut s’arrêter ici et commencer tôt le lendemain matin, car nous ignorons la distance jusqu’aux prochaines habitations. Il y a également des risques d’orages. Nous mangeons 2 assiettes de salchiarroz (littéralement saucisse riz) chacun. Nous dormons à l’école.


Nous avons 3 cols à franchir aujourd’hui : le premier à 4800 m, le deuxième à 5000 m et le troisième à 5145m. Cela se fait plus facilement que les montées des derniers jours (les pentes sont moins escarpées). Nous souffrons par contre de l’altitude, qui nous donne des maux de tête. Les paysages sont sublimes et les lacs aux eaux turquoise ornementent à merveille les pieds des hauts sommets enneigés. Arrivés au troisième sommet, il neige. Ainsi, après avoir célébré brièvement notre victoire sur les 5000 m, nous nous empressons de redescendre de l’autre côté. Nous passons la nuit dans l’école de Soracachi. Le lendemain, nous quittons la chaîne de montagnes pour revenir sur l’Altiplano bolivien par le village de Konani.


De Konani jusqu’à Sabaya : par les plaines de l’Altiplano (le paradis des lamas)

De Konani, nous repartons vers l’est pour atteindre la communauté de Sabaya, qui se trouve à l’entrée du désert de sel de Coipasa, le premier des deux salares que nous traverserons. Entre ici et là-bas, c’est pratiquement plat, à 3700 m d’altitude. Nous décidons de passer par des endroits éloignés, par de petits chemins. C’est donc en suivant cette logique que nous passerons par les villages d’Eucalyptus, Belen et Ancaravi. Ces petites communautés isolées au milieu des vastes plaines de l’Altiplano ne sont pas les endroits les plus vivants que j’aie vus. Souvent désert et peu peuplé, il n’y a guère d’activités. Nous avons également constaté une certaine crainte des étrangers. Parfois, on nous évite ou encore, on nous a confessé à un certain moment nous avoir pris pour des voleurs d’enfants. Bref, c’est un endroit unique à part entière. Nous parcourons ces vastes espaces où le temps semble s’être arrêté avec une certaine appréhension.


Dans un autre ordre d’idée, ces grandes prairies s’étendant à perte de vue sont incontestablement le royaume des lamas. Ces bêtes peuplent cette région par milliers, peut-être en plus grand nombre que les humains. Là, au milieu de cette végétation aride, de ce climat rude où peu d’animaux osent vivre, ils sont chez eux, dans leur élément naturel. Leur riche fourrure les protège des nuits glaciales et ils se contentent sans problèmes de l’herbe drue de l’Altiplano en guise de nourriture.


Pour notre part, nous empruntons des chemins non dignes de ce nom, où il est préférable de rouler directement dans la plaine (entre les arbustes) que sur la voie. Il y a trop de «vaguelettes» et trop de sable, ce qui rend le vélo moins pratique dans ces situations. Nous nous perdons encore une fois et roulons au pif, en devinant la direction que nous devons suivre. Nous traversons une multitude d’enclos de lamas pour atteindre un village où on nous offre une soupe à base de la seule nourriture de la région : du lama. À ce sujet, nous ne sommes pas gâtés au niveau gastronomique. Les marchés sont rares par ces contrées et la nourriture fraiche encore plus. Nous nous contentons souvent de manger des galettes (sucrées et salées) en quantité astronomique, ne trouvant rien de mieux à nous mettre sous la dent. Il y a tout de même quelques exceptions : les soupes de quinoa et de cacahuètes sont délicieuses.


Nous arrivons à Sabaya le 6 septembre. Nous avons eu de la grêle en cours de route, qui tombe sans crier gare. Il est également intéressant de noter que, comme l’Altiplano est plat, tout paraît plus près qu’il ne l’est réellement. En vélo, cela peut mener à certaines frustrations lorsqu’une envie pressante d’arriver à destination se fait sentir. Les kilomètres défilent sans que l’objectif ne semble se rapprocher. Nous dormons dans la maison de Don Robert, le responsable d’un groupe syndical du coin, si je ne m’abuse. Nous avons grandement besoin de nous reposer pour ce qui nous attend demain.


Les Déserts de sel de Coipasa et Uyuni

Tôt le lendemain, nous partons pour le désert de sel de Coipasa. Nous savons qu’il est tout proche, un peu au sud. Il n’y a pas de chemin officiel pour s’y rendre, mais une multitude de pistes. Il suffit d’en suivre une. Nous mettons peu de temps pour nous y rendre. Ce qui est difficile avec les déserts de sel, c’est que leurs rives sont composées d’un mélange de sable et de sel, ce qui est une surface molle et peu adéquate pour la bicyclette. Néanmoins, une fois cette partie franchie, le sol est généralement très dur et lisse. Il n’y a alors que les pentagones craquelés, incrustés dans le sel, qui gêne notre roulement régulier. Le soleil est surpuissant, décuplé par le blanc réfléchissant du sel, et des lunettes protectrices sont indispensables. Si ce n’était du vent constant, il ferait chaud, malgré les 3650 m d’altitude. Par contre, il y a des parties du désert qui sont inondées et des surfaces instables, ou encore des endroits où le sol est très raboteux, ce qui n’est pas l’idéal en vélo.


C’est une expérience unique que de se retrouver au milieu d’un désert de sel. D’abord, il n’y a rien, absolument rien, qu’un paysage immaculé à perte de vue. C’est un endroit des plus hostiles à la vie, aucun organisme vivant ne peut survivre au milieu de cette étendue de sel. Nous apercevons notamment des squelettes (probablement de lamas) jonchant le sol, de pauvres bêtes assurément mortes déshydratées. Oui, il y a de l’eau par endroit, mais elle est saturée en sel et donc imbuvable. Outre cela, il y a un sentiment de liberté totale, de se trouver en dehors de tout cadre, de toute structure normale auxquelles nous sommes habitués. En vélo, nous sommes à même de vivre l’expérience à fond, de ne faire qu’un avec notre environnement. Je n’aurais pas supporté de me retrouver dans une jeep remplie de touristes.


Bon, suite à la période d’euphorie, il faut se rappeler que nous sommes au milieu d’un désert et qu’il est important de le traverser avant la tombée de la nuit. Le salar de Coipasa n’est pas très grand, 60 km de large en ligne directe tout au plus. Néanmoins, traverser le désert en ligne droite n’est pas si facile. Il n’y a aucun chemin à suivre et des obstacles (ruisseaux, boue, vent, surface molle) à contourner. Bref, nous zigzaguons et nous nous épuisons. Le sel colle partout et brûle la peau. Le vent nous freine. Puis, dans la partie sud du désert, nous devons pousser nos vélos pendant 10 km pour pouvoir enfin atteindre la rive. C’est encore une fois un mélange de sel/sable, trop instable pour nos montures. Bien que la rive nous paraisse toute proche, nous n’en finissons pas de pousser. Arrivés de l’autre côté, nous avons un autre problème : nous ignorons où se trouve le chemin pour se rendre au village le plus proche. Il y a plusieurs pistes, mais la plupart trop ensablées pour que nous roulions dessus. Nous décidons finalement de longer la rive vers l’est (car cela nous facilite la vie avec le vent dans le dos) et de chercher un abri pour nous loger avant la nuit. Nous finissons par trouver un minuscule village (34 habitants) du nom de Tres-Cruces où nous restons dans la classe d’école. Nous pouvons nous ravitailler en eau et un peu en nourriture.


Le lendemain, nous savons comment nous rendre au village de Llica, plus grande population à la ronde et qui se situe à l’entrée du deuxième désert de sel que nous traverserons, celui d’Uyuni. Il y a vraiment trop de sable dans cette région et il est difficile de s’y promener en bicyclette. Nous arrivons en après-midi à Llica, où nous achetons la nourriture qui nous manque et partons directement dans les étendues d’Uyuni.


Uyuni est beaucoup plus grand que Coipasa. En fait, c’est le plus grand désert de sel au monde. À titre d’exemple, nous parcourons près de 140 km pour atteindre l’autre rive, du nord-ouest au sud-est. Cela dit, vous vous doutez bien que, puisque nous partons de Llica en fin d’après-midi, nous n’aurons d’autres choix que de camper au milieu du salar. C’est exactement ce que nous voulons faire. Nous pensions à priori être capables d’atteindre l’une des îles du salar (isla del pescado) pour y monter la tente, ce qui n’arrivera pas. Contrairement au Coipasa, le salar de Uyuni à plusieurs «pistes» principales qui le traversent de bord en bord. Nous en suivons une (mais pas celle que nous voulions), ce qui nous évite de nous perdre et de nous ramasser dans des endroits marécageux. D’ailleurs, nous roulons bien, avec un faible vent de dos. À 17 h, nous nous arrêtons pour monter le campement. Le vent s’intensifie du même coup. Nous décidons de monter une seule tente, afin de nous tenir au chaud durant la nuit. La première épreuve fut de planter les piquets dans le sol. Le sel est si dur, par chance les Français avaient des pics à glace avec eux et moi une clé à mollet. Le truc c’est de les planter dans les fissures des formes pentagonales, c’est plus mou. Une fois la tente debout, nous pouvons commencer à nous occuper du repas. Des soupes instantanées ce soir, ce qu’il y a de plus simple. Au fur et à mesure que le soleil se couche, la température chute drastiquement : nous sommes dans la partie de la Bolivie reconnue pour ses nuits particulièrement froides, pouvant atteindre les moins 20°C. Le vent qui ne se calme pas ne nous aide pas. Or, c’est à ce moment de la journée que commence le spectacle : le coucher de soleil dans le salar. Les couleurs changent peu à peu, les ombres s’allongent à l’infini. Le ciel et l’horizon finissent par se confondre. C’est un moment magnifique qui m’émeut beaucoup. Le ciel se couvre de mille étoiles qui veilleront sur nous pendant notre sommeil.


Le matin venu, c’est l’aube qui nous offrira un spectacle tout aussi solennel. Malgré le froid, nous sortons aux premières lueurs pour ne pas manquer cela. Les ombres se raccourcissent à mesure que les montagnes au loin se définissent. Nous déjeunons, rangeons tout notre matériel et repartons pour terminer notre traversée. Tout se déroule bien : nous avons encore un vent favorable et roulons à un bon rythme. De temps à autre, nous apercevons une jeep qui roule au loin. Il y a aussi parfois, ce qui est totalement déplorable, des sacs d’ordures gisant au milieu de ce rien si paisible.


Nous arrivons à Colchani, de l’autre côté du désert d’Uyuni, en fin d’après-midi. Nous trouvons des habitants qui veulent bien que nous dormions dans leur maison en construction. Petite curiosité, toutes les maisons sont construites en blocs de sel dans ce village. Cela donne un style particulier, un ensemble d’habitations blanches. Néanmoins, je peux vous assurer qu’au niveau isolation, ce n’est pas génial; nous nous sommes tous les trois gelés les couilles pendant la nuit. La construction n’était pas terminée, mais quand même… D’ailleurs, pour vous donner une idée, après la nuit dans le désert de sel, mon vieux iPhone a explosé. Pourtant il était dans ma sacoche à l’intérieur de la tente…éteint.


De Uyuni à Villazon : dans le sud de la Bolivie

Arrivés à la ville de Uyuni, nous hésitons du chemin à prendre. Nous pensions au début descendre par le sud de Lopez et ainsi traverser plus à l’ouest par le désert d’Atacama au Chili. Finalement, nous optons plutôt pour prendre le chemin de la frontière avec l’Argentine, plus au sud-est. Pour des raisons de délais, nous choisissons de rejoindre la frontière la plus proche, celle de Villazon. Nous mettrons six jours pour atteindre l’Argentine en passant par les populations de Atocha et Tupiza.


Cette partie de la Bolivie n’est pas la plus intéressante. C’est un environnement désertique, montagneux par endroits et parfois plat. Les chemins sont encore une fois impraticables, nous devons régulièrement pousser nos vélos pour traverser de longs bancs de sable. Afin de trouver une voie plus commode, nous roulons dans toutes sortes d’endroits, souvent dans des lits de rivières asséchés ou encore le long de voies ferrées.


Dans le village abandonné de Noel Mariaca, nous dormons dans les anciennes salles de classe de l’école, où nous trouvons plusieurs boîtes de conserve délicieuses. À Atocha, nous dormons dans une salle de l’hôpital. À Salo, nous campons sur le terrain de sport du village. Étonnamment, j’ai réussi à perdre mon matelas de sol dans la descente avant d’arriver à cette communauté. À Tupiza, nous rencontrons Tonchy, un ami des cyclotouristes qui possède un magasin de vélo. Il m’aidera, entre autres, à faire souder de nouveau mon porte-bagage arrière (qui me cause d’ailleurs de plus en plus de problèmes). Nous en profitons donc pour prendre une journée de congé (nous n’avons pas arrêté de pédaler depuis La Paz) et découvrir le marché local qui offre de très bons empanadas.


De Tupiza jusqu’à Villazon, la route est pavée. Il y a un petit six km de montée, mais sinon, c’est tout plat. Nous avons de la difficulté à nous loger à Villazon. Nous demandons à plusieurs endroits, mais sans résultat. C’est finalement Marcia, professeure dans un collège, qui nous invite chez elle. Sans hésiter, elle nous a ramenés à sa demeure où elle reste avec son mari et son fils. Nous avons été surpris par le luxe (relatif) dans lequel vivaient ces Boliviens : avec leur grande maison, leurs électroménagers et autres produits de confort, ce sont de loin les Boliviens les plus aisés que nous avons rencontrés. Ils font d’ailleurs preuve d’une générosité incroyable, dont nous ne pouvons qu’être reconnaissants. Ils sont aussi de fervents patriotes boliviens : pour eux, il n’y a pas de doute, la Bolivie est le meilleur pays de la planète et les Chiliens sont des connards (Le Chili a conquis une partie de la Bolivie lors de la Guerre du Pacifique).


Voilà où se termine la traversée de la Bolivie. Je vous invite fortement à continuer votre lecture lors du prochain article qui portera sur l’Argentine!



Featured Posts
Recent Posts
bottom of page