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Le Pérou : Bienvenue au royaume des Incas

Bienvenue chez les Incas, fier peuple déchu par les Conquistadores espagnols au 16ième siècle. À l’apogée de leur civilisation, l’Empire Inca s’étendait de la moitié nord du Chili et de l’Argentine jusqu’à la frontière actuelle entre l’Équateur et la Colombie. Ils possédaient pratiquement toute la cordillère des Andes et avaient soumis de nombreux peuples à leur royaume. De nos jours, la présence indigène y est toujours forte, particulièrement dans les montagnes, et s’y promener nous donne l’impression de revenir 400 ans en arrière. Maisons de terre séchée (appelée adobe) isolées dans les montagnes et bergers Quechua (langue Inca) en habits traditionnels baignent notre quotidien.


Nous traversons ce long pays du nord au sud en passant par les régions de l’Amazonie près de la frontière équatorienne, en traversant les sommets de neige éternelle de la cordillère blanche au centre, en zigzaguant entre les montagnes de la zone andine centrale, en parcourant la vallée des Incas de la région de Cuzco et en surplombant l’Altiplano du sud pour arriver aux rives nord du lac Titicaca. Cela représente 3 548 km parcourus en 70 jours de défis quotidiens, que ce soit physiquement ou mécaniquement (car les vélos ont trouvé cela difficile eux aussi). Le Pérou offre des paysages andins fabuleux, parmi les plus impressionnants que j’aie vus, agrémentés par une culture locale forte et omniprésente.


Nous arrivons au Pérou le 13 juin 2015 par la frontière la plus à l’est avec l’Équateur, au Rio Canchis. Il fait chaud et sec, et passer cette petite douane est plus compliqué que je m’y attendais. On nous renvoie de gauche à droite, il faut se rendre à la police étrangère et attendre longtemps, évidemment! Le premier village que nous croisons est peu hospitalier; les gens nous évitent et nous craignent. Certains refusent même de nous parler. Nous entendons déjà les « gringos! » criés à répétition sur notre passage. Ce sera le point culminant de cette appellation, les Péruviens tenant absolument à prévenir tout le monde chaque fois qu’ils voient un étranger. Nous dînons bien, du poisson pour 5 nouveaux soles chacun (2 $ CAD), ce qui s’annonce prometteur. Nous entendons parler depuis longtemps de la nourriture péruvienne, soi-disant l’une des meilleures gastronomies au monde. J’avais donc hâte d’y goûter. Néanmoins, sans être déçu, je m’attendais à mieux.


Il y a du café en train de sécher partout où c’est possible, c’est-à-dire surtout sur les chaussées. L’asphalte, réchauffé par le soleil, est le meilleur endroit qu’ils ont trouvé pour cette tâche. Il y a tant de café que l’espace manque sur le bitume pour les véhicules.


Nous roulons tard cette journée-là. Sur le chemin, nous rencontrons un Péruvien ayant vécu en France quelques années en tant que légionnaire dans la Légion étrangère. Il parle donc français et nous a aussitôt abordés en nous voyant. Cley (tel est son nom) veut nous aider et nous promet de nous trouver un logis si nous arrivons jusqu’à son village ce soir. Le problème est que Clément se sent faible et que nous avançons lentement. Peu importe, c’est une occasion à ne pas manquer. Nous arrivons finalement à San Ignacio à 19h30, alors qu’il fait déjà nuit depuis une heure. Normalement, nous évitons d’emprunter les routes après la tombée de la nuit, à cause des nombreux risques que cela comporte, mais c’est parfois nécessaire. D’ailleurs, il est très agréable de rouler avec le coucher du soleil et la fraicheur du soir… À San Ignacio, Cley tient sa promesse. Il nous invite au resto et nous paie une chambre d’hôtel. Aussitôt fait, notre bienfaiteur disparaît, sans autre forme de procès. Nous avons à peine le temps de le remercier.


L’une des grandes particularités du Pérou, c’est qu’il n’y a pas de supermarchés, à l’exception du cœur des grands centres urbains. Nous apprenons donc rapidement à nous approvisionner aux marchés locaux qui se présentent un peu partout (puisque les Péruviens aiment cuisiner). C’est toujours une aventure de trouver un produit spécifique, au prix le plus avantageux, dans ces vastes étendues de petits stands. Cela prend au moins deux fois plus de temps que dans un supermarché grande surface (où tout est bien rangé), mais c’est ô combien plus amusant! Toutes ces couleurs vibrantes, ces gens bigarrés, ces articles empilés du sol au plafond, ces odeurs qui chatouillent nos narines… c’est vivant! Il est vrai que les conditions d’hygiène y sont consternantes, la viande n’est pas réfrigérée et est exposée directement à l’air libre (avec un ventilateur pour éloigner les mouches) alors que les fruits et légumes sont parfois vendus à même le sol. Or, c’est pittoresque et peut-être plus humain que nos établissements de distribution alimentaire.


Un détour par le bassin amazonien


Deux jours plus tard, nous passons par Jaen, notre première ville péruvienne. À première vue, c’est le bordel, il y a des motos-taxis qui arrivent de partout. La jungle péruvienne est le royaume de ce petit transport en commun à trois roues, avec un toit de toile et des fenêtres en plastique pour protéger ses trois passagers. Il règne sur les routes, dépassant de loin les automobiles. Il semble aussi avoir son propre code de la route; impossible de deviner la logique leur permettant de circuler sans accrochage. Nous craignons de nous faire renverser à tout moment. Nous apprendrons néanmoins que, les Péruviens étant les conducteurs les plus cowboys d’Amérique, mieux vaut se faire serrer par une moto-taxi que par un 18 roues.


Miguel est le propriétaire du meilleur magasin de vélo de la ville. Il est l’ami des cyclotouristes, voilà pourquoi nous nous retrouverons chez lui. Nous y croisons une fois de plus les Bike-trippers, ces trois cyclistes français que nous avions rencontrés en Équateur. Nous restons à la caserne de pompiers et prenons une journée pour soigner nos vélos à l’atelier de Miguel.


Nous avons désormais l’intention de partir vers le sud-est, pour redescendre vers la jungle et découvrir cette région isolée du reste du pays. Nous ferons donc un grand détour, car nous voulons par la suite retraverser les montagnes pour rejoindre la cordillère blanche, dont nous avons entendu beaucoup de bien. Nous passerons par les municipalités de Bagua, la Esperanza, Rioja, Tarapoto, Bellavista, Tocache, pour ensuite revenir dans les montagnes par San Pedro, Chocobamba, Mamahuaje et Sihuas.


Nous redescendons bas, autour des 500 m d’altitude. Étonnamment, la végétation est très sèche, contrairement à la partie de la jungle que nous avons parcourue en Équateur. Il y a beaucoup de plantations de riz, la base de l’alimentation. Nous traversons de grosses rivières qui vont toutes se jeter dans le fleuve de l’Amazone. À Bagua, nous sommes accueillis dans le centre des sports. Après avoir discuté avec la mairie, ils ont convenu que nous pouvions passer la nuit là. Ici, c’est généralement les hôtels de ville qui nous dirigent vers un logis. Nous garderons cette habitude pour tout le reste de

l’Amérique du Sud. Dans le centre sportif, il y a une répétition de danse traditionnelle péruvienne. Des danses traditionnelles au Pérou, il y en a un nombre incalculable, étant donné que chaque région possède ses propres variantes. Nous sommes émus d’assister à ce spectacle. Plus tard, nous regardons la partie de soccer Colombie-Brésil, nous sommes alors en pleine Copa America (1 à 0 pour la Colombie).

Les habitants de la jungle péruvienne sont d’un accueil incroyable. Partout où nos roues nous mènent, nous sommes reçus avec grand honneur. Je me rappelle de ce jour où un pauvre paysan sur le bord de la route nous a offert plein de noix de coco, que nous avons acceptées avec plaisir, et ouvrons avec notre machette du Costa Rica. Ou encore, à Tabaloso où l’on nous a fourni gratuitement deux chambres doubles dans l’hôtel du village. Ou encore, tous ces gens qui prennent le temps de parler avec nous; c’est impressionnant. Il faut dire qu’il y a très peu d’étrangers dans la région de la jungle sèche et que notre présence à vélo ne passe jamais inaperçue. L’exemple le plus marquant est assurément cette journée que nous avons passée à Bellavista. Le 23 juin en fin d’après-midi, nous trouvons refuge à la caserne de pompiers du village. Nous allons ensuite faire les courses au marché local, où nous rencontrons « el Cabezon » (littéralement Le Têtu), en train de boire de la bière avec ses copains. Ce dernier nous invite cordialement à nous joindre aux festivités de la Saint-Jean baptiste le lendemain, 24 juin. Nous acceptons avec grand honneur.


Un jour, Clément est malade et faible, il doit s’arrêter régulièrement pour reprendre son souffle. Nous passons par un vieux chemin abandonné où la seule circulation consiste en quelques motos de temps à autre. À ce moment-là, Jérémy et moi sommes en avant et nous ne voyons plus Clément derrière. Nous nous arrêtons donc en bordure de la route, laissons nos vélos, et revenons en arrière à la marche. Clément a de gros problèmes digestifs, je retourne chercher mon vélo sur lequel je charge des médicaments. Peu de temps après, une moto avec deux occupants passe en nous saluant. Jérémy décide alors à son tour d’aller chercher son inestimable monture. Au moment où il aperçoit sa bicyclette, les deux motocyclistes qui nous ont croisés sont penchés dans ses sacoches à la recherche d’un quelconque objet de valeur. Jérémy fonce vers eux à la course, ce qui est suffisant pour les effrayer. Ils n’ont que le temps de voler…sa trousse de toilette. Certes, il avait ses médicaments pour la malaria et autre matériel fort utile dans cette trousse, mais ce n’est définitivement pas son bien le plus précieux. Néanmoins, cela confirme une chose; nous devons être sur nos gardes.


Une Saint-Jean-Baptiste à la péruvienne…


Dix heures du matin, nous attendons comme convenu le Cabezon devant son magasin général au centre du marché. Il arrive quelque temps plus tard et nous partons ensemble en moto-taxi jusqu’au village voisin, El Porvenir. Tout est déjà prêt pour la fête; un grand champ est aménagé avec une scène pour le groupe de musique cumbia qui jouera ce soir (de 17h à 23h, six heures durant, sans s’arrêter). Cabezon nous offre tout d’abord des juanes, plat typique de cette journée. Cela ressemble à des tamales (pour ceux qui connaissent) : un mélange de riz avec poulet, olives (beaucoup d’olives poussent par ici), œufs, origan et légumes, le tout enveloppé dans des feuilles de bananiers. Nous accompagnons ce délice d’Inca Cola, la boisson gazeuse nationale péruvienne, et concluons le repas par des migados, un gâteau émietté et imbibé d’Aguardiente (alcool aromatisé à l’anis). Nous nous lançons ensuite sur la piste de danse, une bière à la main. Nous apprenons alors comment boivent les Péruviens, qui ont une façon bien à eux de partager la cervoise : toujours en groupe, une seule bouteille (de 700 ml) accompagnée d’un verre. On se verse d’abord un verre, on passe la bouteille au prochain, on cale le verre, on jette la mousse par terre (très important) et on passe le verre au prochain. Faire autrement se mérite automatiquement le regard réprobateur d’autrui. Anecdote loquace, je me fais personnellement traiter de Chinois parce que je savourais une bière seul. Nous dansons toute la soirée et une bonne partie de la nuit aussi. Plusieurs fois, au micro, le présentateur remercie la présence des Français et des Canadiens venus de si loin (Wolfy l’Allemand n’a pas pu venir étant malade, possiblement le Dengue). Aux petites heures du matin, alors que les bagarres commencent à éclater, nous rentrons à la caserne de pompiers. Le lendemain matin, le Cabezon et sa famille nous offriront tous les produits dont nous avons besoin pour continuer notre voyage.


À la recherche de rayons


Comme je l’ai déjà mentionné dans les articles précédents, j’ai eu beaucoup de problèmes avec les rayons de ma roue arrière. Cela ne s’est pas arrangé au Pérou et je viens rapidement à bout de ma réserve de bons rayons de Colombie. Le problème, c’est que les pièces de vélo sont très limitées dans cette partie du monde, surtout lorsqu’il est question de roues de bicyclette de 28 pouces (700 mm). Elles sont très rares, tout comme ses composantes. On me répondra à plusieurs endroits que ce type de rayons (295 mm) n’est tout simplement pas commercialisé au Pérou. Évidemment, vous vous doutez que c’est ce que j’ai. C’est pourquoi je me suis embarqué dans toute une aventure en venant au Pérou équipé de ce type de roue.


À Tarapoto, la plus grande ville de la jungle péruvienne que nous ayons croisée (et la capitale suprême de la moto-taxi selon moi), j’ai fait tout le tour de la ville pour trouver des rayons de rechange. Bien sûr, impossible d’en trouver, alors je regarde pour une autre solution. Je pourrais en faire venir de Lima, la capitale, mais il faudrait que je commande la boite entière pour moi tout seul, ce qui coûterait une fortune. Je tente alors une autre option : couper des rayons plus grands (car il existe des rayons de plus grande dimension) et refaire le filage pour pouvoir le fixer aux têtes de rayons. L’ayant personnellement déjà fait auparavant, cette opération est normalement très simple, à condition de posséder l’outil nécessaire. Malheureusement, encore une fois, les Péruviens ne sont pas dotés de ce type de matériel. Je dois donc faire de nouveau le tour de la ville pour trouver un atelier de soudure possédant une machine de filetage assez précise pour travailler sur mes rayons…ce que je ne trouve évidemment pas, si ce n’est d’un vieux monsieur peu rassurant qui me garantit pouvoir faire le travail. N’ayant pas d’autres options, je cède. J’attends alors des heures pour finalement…nada! Le filetage est mal fait, je ne peux pas fixer ces nouveaux rayons sur ma roue. Je repars de Tarapoto aussi démuni qu’avant, si ce n’est des rayons trop longs que j’ai gardés avec moi. Ceux-ci me seront tout de même utiles dans la mesure où j’apprendrai à les tordre pour les raccourcir à la longueur désirée. Ce tressage improvisé aura tout de même ses limites; il ne tient pas bien la tension. Les rayons tordus se détordent rapidement et je reviens au point de départ. J’ai aussi trouvé une autre solution, qui consiste à couper les rayons démesurés puis souder une petite boule de fer du côté de l’extrémité reliée au moyeu. Cela s’avèrera plus pratique que les rayons tordus. Il faut le dire, au rythme d’un rayon brisé par jour, j’ai eu plein d’idées pour contrer cet inconvénient. En fin de compte, je devrais tenir jusqu’à Huaraz, de l’autre côté des montagnes (à 1000 km de Tarapoto) pour enfin changer ma jante et tous mes rayons, ce qui règlera définitivement le problème.


Après Bellavista, nous continuons notre périple vers le sud. L’état de notre compagnon Wolfy ne s’arrange pas et nous devons le laisser prendre un bus pour le rejoindre deux jours plus tard à Tocache. Le chemin remonte dans les montagnes à ce moment-là, et nous quittons la végétation sèche pour une forêt humide. Au petit village de Santa Rosa del Cumbre (au sommet de la pente, cumbre c’est col en espagnol), nous dormons sur la grande galerie d’une maison sur pilotis. Brenderey nous accepte dans sa maison, alors que ses filles ne peuvent pas rester avec nous sans se mettre à pleurer. Nous sommes probablement les êtres humains les plus étranges qu’elles aient vus après tout. Au réveil le lendemain, le village de sept maisons est envahi par un corps de policiers. Nous ignorons la raison de cette arrestation, mais il est à supposer que c’est en lien avec les nombreux champs de coca des parages. Cette plante pousse très bien par ici. Les Péruviens en raffolent, ils la mâchent des heures durant sans se fatiguer. Elle est reconnue pour calmer les maux d’altitude (en activant la circulation sanguine) et enlever la faim. Nous chercherons bien sûr à nous en procurer afin de goûter à cette mythique feuille. Cela ne coûte presque rien au marché et se trouve partout au Pérou. Son goût est très amer et nous la préférons en infusion. Dorénavant, elle accompagnera tous nos déjeuners.


Le retour dans les Andes


Nous redescendons ensuite par Tocache, où Wolfy nous attend. Nous dormons à la station de police (l’une des rares fois, normalement les policiers ne veulent jamais). Notre route dans la jungle s’arrête bientôt; un peu au sud de Tocache, nous empruntons le chemin partant vers l’ouest jusqu’à Sihuas. Ce sont 250 km de piste dans les montagnes qui nous attendent. Il faut par contre d’abord traverser la rivière Huallaga, l’un de ces gros torrents se jetant dans l’Amazone. Il n’y a aucun pont pour la traverser, ce sont des traversiers composés de cinq longues pirogues reliées par de gigantesques poutres de bois qui offrent ce transport. Ne me demandez pas comment ils réussissent à embarquer sans chavirer des gros 18 roues sur leurs radeaux (ce qui pour moi relève du miracle plus que de l’ingénuité). On nous transporte gratuitement sur l’autre rive. Nous dormons le soir dans le minuscule village de Bonbonage. Nous campons sur le terrain de soccer. Les villageois, ravis de nous voir, nous offrent des bananes plantains bien mûres et délicieuses et désirent que nous jouions au volleyball avec eux. Le phénomène du volleyball est impressionnant au Pérou; dans chaque petite communauté, ils ont un filet et se rassemblent souvent le soir pour jouer entre copains. Déjà en Équateur nous avions observé cette tendance, mais ici c’est plus marquant. Nous mangeons aussi des Coconas (connus sous le nom de « naranjillas » en Équateur) qui poussent à l’état sauvage. C’est orange et très acide. Ils sont normalement utilisés dans des boissons. Le soir, nous regardons la partie de soccer Pérou-Chili…sur la seule petite télévision du village. Le Pérou perd malheureusement, 2 à 1. C’est seulement le lendemain matin au réveil que je me rendrai compte que l’œillet de mon cadre sur lequel se fixe mon porte-bagage arrière est brisé. C’est une mauvaise nouvelle, car il n’y a aucun soudeur à la ronde pour quelques centaines de kilomètres. Je peux quand même fixer mon présentoir sur la deuxième rangée d’œillets, qui sert normalement pour le garde-boue. Je suis inquiet, mon vélo tombe en ruine…tiendra-t-il le coup jusqu’à Ushuaia, qui se trouve encore à 10 000 km? Je préfère ne pas y penser.


Le chemin est tortueux, rocailleux et d’une beauté incroyable. C’est l’image même que l’on se fait des Andes; un étroit passage escarpé entre un profond précipice et un pic vertigineux. Wolfy ne va toujours pas mieux, il a d’énormes démangeaisons (son cas s’apparente de plus en plus à une crise de Dengue) et peine à rouler. Nous campons sur le champ de la place centrale du village de

Santa Rosa del Oso (1300 m d’altitude), les gens sont heureux de nous accueillir. Encore une fois, on nous invite à la traditionnelle partie de volleyball. Nous commandons ensuite un repas pour le souper. Je mange du poisson-chat, appelé Toa, qui est tendre et délicieux. Il y a des Cuyes, des cochons d’Inde courant partout. Les Péruviens les mangent et ils occupent normalement le sol de la cuisine. C’est une chaire grasse et gouteuse, pas désagréable. Je me réveille pendant la nuit avec de fortes douleurs d’estomac. Impossible de fermer l’œil. Au matin, je n’avale rien, je ne me sens pas la force de continuer. Finalement, j’expulse mon contenu stomacal et j’enfourche mon vélo. Cela s’annonce mal, nous avons de longues montées difficiles aujourd’hui. Lors de l’ascension de la première, mon pneu arrière éclate (combiné avec un rayon brisé). Là, je suis pris de court; je n’ai pas de pneu de rechange avec moi. Heureusement, je trouve un sauveur en Wolfy qui avait prévu cette éventualité. Il a un nouveau pneu avec lui, un Schwalbe Marathon Mondial, ce que j’avais avant et ce qu’il me faut. Je le lui achète sans hésiter, n’ayant pas d’autre option. Mon pneu Maxxis Overdrive, celui qui vient d’éclater, deviendra mon pneu de secours à partir de maintenant. Je le recouds avec du fil de pêche, il peut toujours servir si nécessaire.


Je me sens faible, ces routes péruviennes grugent toute l’énergie qui me reste. Je dois m’arrêter plusieurs fois sur le chemin pour me reposer. Je tiens jusqu’à San Pedro, 35 km plus loin, où je m’effondre sur la place centrale. Les autres arrivent ensuite et nous décidons de rester ici. Mes compagnons me proposent de m’offrir une chambre d’hôtel pour me reposer, mais je refuse. C’est à la mairie que nous sommes accueillis, avec des matelas de surcroît. Je m’endors dès que possible, j’ai de la fièvre qui commence. Me lever est pénible et je mange minimalement le soir. Le lendemain au réveil mon état est plus encourageant. Je réussis à suivre. Nous avons un col de 3900 m qui nous attend, avec un total de dénivelé positif supérieur à 2000 m en une seule journée. Ce sont les pentes les plus intimidantes que j’aie vues.


Les femmes et les enfants indigènes ont souvent peur de nous. On nous raconte un soir, qu’il y a une croyance ici comme quoi les étrangers sont des trafiquants de graisse humaine (ce n’est pas une blague) et qu’ils viennent dans les villages pour kidnapper de pauvres victimes. Vraiment, il se raconte parfois n’importe quoi!


Le 3 juillet, c’est notre première nuit au froid. Nous sommes à plus ou moins 3400 m et la température chute drastiquement. À cet instant, il se passe un phénomène étrange ; au moment de dormir, une douleur lancinante à la poitrine m’empêche de fermer l’œil. À chaque respiration, j’ai des éclairs qui me transpercent les poumons. C’est la seule fois que cela m’est arrivé. J’attribue cela à l’altitude ou à l’air glacial.


Au réveil, les tentes sont givrées. Nous préparons un thé de coca et un thé de yerba luisa (herbe citronnée) qu’on nous a donné. Nous avons ensuite descendu jusqu’à Haucrachuco 10 km plus bas. Jérémy fait éclater un autre pneu dans la descente, nous devons en trouver un autre dans le grand village. Nous mangeons du poumon de mouton à la menthe. Beaucoup de gens nous arrêtent pour nous poser des questions. Cette nuit-là, nous campons dans l’humble hameau de Mamahuaje. Nous sommes à 1800 m, la température est agréable. Nous décidons de ne pas monter les tentes et de dormir directement sur le béton dans nos sacs de couchage. Au milieu de la nuit, j’entends du bruit près de moi. Lorsque je me retourne, j’aperçois une scolopendre gigantesque des Andes juste à côté de ma tête. Pour ceux qui ne connaissent pas, une scolopendre ressemble à un gros millepatte carnivore avec de longues pattes. La scolopendre gigantesque mesure près de 30 cm/12 pouces de long, est carnivore, venimeuse et très agressive. Sa morsure, bien que rarement mortelle, est d’une douleur horrible. Fièvre, nausée et faiblesse en découlent. À ce moment-là, j’ignore que c’est une scolopendre, mais je me doute que c’est dangereux. En me sentant bouger, la scolopendre se réfugie dans la cachette la plus près, c’est-à-dire à l’intérieur de mon sac de couchage!! Waargh !! Aussitôt, je suis pris de panique. Je m’extirpe le plus

rapidement possible de mon cocon. Je le secoue ensuite jusqu’à ce que je voie la scolopendre tomber et s’enfuir. En détresse, cette bestiole court à une vitesse hallucinante. En la voyant partir, la seule idée de sentir les multiples pattes de cette longue bête horrible sur mon corps me lève le cœur. Je monte ma tente pour le restant de la nuit, juste au cas où…


Nous arrivons maintenant à Sihuas, ce qui veut dire que nous sommes maintenant officiellement de retour dans les Andes. Nous apercevons des condors des Andes, voltigeant haut dans les airs cette journée-là. Sur la route, une famille de paysans m’offre des pêches qui poussent très bien par ici. À Sihuas, nous restons dans la maison paroissiale, où nous buvons une bouteille de pisco, alcool national du Pérou (à base de raisins), afin de souligner notre séparation avec notre compagnon allemand. En effet, demain Wolfy fera le tour de la cordillère blanche pour la longer par l’ouest, alors qu’avec les Français, nous allons descendre par son flanc est (moins touristique) et la traverser en plein milieu. Wolfy doit rejoindre sa copine à Cuzco, dans le sud du Pérou, mais nous le reverrons plus tard en Argentine.


Aux abords de la cordillère blanche: une merveille de la nature


Le versant est de la cordillère blanche est très beau et très pittoresque. Nous traversons d’énormes vallées à 3000 m d’altitude, lesquelles sont parsemées de petites fermes, de gigantesques eucalyptus et de cours d’eau limpide. Il y a quelques villages sur le chemin, totalement indigènes, où nous demandons l’hospitalité. Le plus marquant de cette partie est le nombre de détours que nous traçons dans une même vallée pour en atteindre l’autre extrémité. Quand nous sommes en haut, nous avons l’impression que le prochain village est tout près alors que nous mettons plusieurs heures à y parvenir. Cela s’explique également parce que les chemins sont de très mauvaise qualité et très inclinés. Au village de Chinchobamba, nous demandons directement au maire où nous pouvons nous loger pour la nuit. Ce dernier nous invite à nous installer à l’intérieur de l’hôtel de ville, muni d’une chambre et de deux lits (source de conflits…nous sommes trois). Malgré tout, nous sommes ravis. La douche, comme presque tous les jours, se prend au jet d’eau directement dans la cour de la municipalité. De plus, nous mangeons du Chocho cette soirée-là pour la première fois : c’est un mélange de fèves, grains de maïs grillés, légumes et jus de citron en salade. C’est succulent et ça ne coûte rien (une portion pour un sol, soit 40 cents canadiens). Pour conclure la soirée, nous allons assister à une pratique de musique traditionnelle à la harpe. Nous entendions de la musique venant de la maison en face de la mairie et nous étions curieux de savoir ce que c’était. On nous a invités à l’écouter et nous avons été émerveillés par la beauté de ce son. Cela n’avait rien à voir avec la musique traditionnelle que nous entendions à la radio (et que je trouve insupportable). Cette mélodie-ci est simple et harmonieuse, tout en étant d’une relative complexité. J’étais en admiration totale.


Au matin, nous débutons par un 21 km de montée pour passer à la prochaine vallée. J’arrive en haut à midi. Nous sommes à environ 4000 m et nous avons maintenant une vue claire sur le mur de neige qu’est la cordillère blanche. En tout, ce sont 35 sommets à plus de 6 000 m d’altitude (avec son point culminant à 6 768 m) s’étendant sur 180 m de long (nord-sud). Donc, cette concentration de sommets de neige éternelle porte très bien son nom. C’est sincèrement, l’une des plus belles choses que j’ai jamais vues.


À Pomabamba, le 6 juillet, nous sommes de nouveau choyés; on nous loge dans l’hôtel municipal, juste en bordure des bains thermaux. Puisque nous sommes dans un centre urbain, le soir nous soupons au marché, où c’est toujours bon. La propriétaire nous apprend le mot « Patchi », qui veut dire merci en Quechua. Le jour suivant, nous avons une multitude de problèmes techniques, moi le premier. Le chemin est trop rude pour mon vélo. Je n’arrive pas à suivre, je passe la majorité du temps à faire de la mécanique de fortune. Heureusement, les gens sont plus que généreux dans cette partie du monde. On m’offre à manger, on nous invite à déjeuner, on nous remet une quantité appréciable de fruits… cela fait chaud au cœur. On nous file aussi un sac plein de canchas, qui sont des grains de maïs rouge séchés puis éclatés dans la poêle. On pourrait pratiquement appeler cela du pop-corn péruvien…n’empêche, cela se transporte très bien et c’est nutritif (bien qu’un peu fade et sec en bouche).


Nous arrivons enfin à San Louis, qui se trouve aux contreforts de la cordillère blanche. Une grande partie de la route sera désormais pavée jusqu’à Cuzco, si ce n’est de quelques exceptions et bifurcations par-ci, par-là…Après plus de 400 km de chemin de pierre dans les montagnes, il est temps. Nos vélos ne sont pas adaptés pour ce genre de terrain (j’ose le répéter encore une fois, particulièrement le mien) bien que ce soit généralement ces petits chemins isolés en altitude que je préfère. Nous nettoyons nos montures et il était grand temps, nos vêtements de vélo. À ce sujet, nous n’avons que deux ensembles de linge avec nous : un pour le sport et un ensemble « propre », pour quand nous ne sommes pas sur le vélo. Donc, nous sommes vêtus de la même façon jour après jour et les possibilités de faire du lavage sont restreintes. Si nous lavons notre linge le soir (dans une rivière par exemple, ce qui est souvent le cas), il y a très peu de chance qu’il soit sec le lendemain matin. Cela n’est pas un problème dans un climat tropical, seulement je vous rappelle que dans les hauteurs des Andes les nuits sont froides, voire glaciales. Commencer la journée avec du linge mouillé n’est donc pas une option, alors on endure.


À San Louis, il nous arrive aussi une mésaventure. Alors que nous sommes à la recherche de pièces pour nos vélos, nous croisons un homme nous faisant de larges signes. Nous nous arrêtons pour savoir ce qu’il nous veut. Il nous transmet que la femme à côté de lui nous accuse de vol. Cet homme n’est pas impliqué personnellement dans cette histoire, il agit seulement en guise d’interprète : soit parce que la femme en question ne parle pas espagnol ou soit parce qu’elle ne veut pas directement nous adresser la parole (ce qui est parfois le cas avec les femmes indigènes). Bref, nous sommes surpris et exigeons des explications. Il s’agit de la veille au soir, nous étions allés demander dans une ferme non loin d’ici si nous pouvions utiliser leur cuisine pour cuire notre riz. On nous affirme que oui, de revenir dans une demi-heure lorsque la cuisine sera libre. Cela est parfait pour nous et nous retournons à notre campement en attendant l’heure convenue. Vingt minutes plus tard, des jeunes filles venant de la ferme nous apportent des plats de riz déjà tout préparés. Étonnés et touchés par cette courtoisie, nous les remercions grandement. Je vais ensuite reporter les plats à la ferme et remercie personnellement la femme pour ce don tant de circonstance. En fin de compte, il semblerait que ce cadeau n’en était pas un. Elle suppose que puisque nous sommes des touristes blancs, nous devons payer. Cela nous met de mauvaise humeur et nous refusons catégoriquement de lui donner le montant ridiculement élevé qu’elle nous exige. Nous connaissons les prix (puisque nous cuisinons nous-mêmes) et décidons de conclure cette histoire en lui payant la quantité de riz qu’elle nous a préparé, soit près d’un kilo. Même si nous refusons nos torts, nous tenons à ce que les populations locales gardent une bonne image des cyclotouristes.


Nous poursuivons notre chemin jusqu’à Chacas la journée même, 22 km de montée plus loin. C’est un petit village touristique plutôt joli. Nous trouvons refuge dans la salle de conférence de la mairie. L’hôtel Patria nous prête sa douche. Durant la nuit, les gardes n’arrêtent pas de venir mettre leur bouilloire électrique juste à côté de ma couchette. Cela fait énormément de bruit et ils reviennent toutes les 15 minutes. Je sais que demain sera une journée des plus exigeantes et je dois à tout prix me reposer. Incapable d’en supporter davantage, je me lève et les supplie de bien vouloir nous laisser dormir.


La Punta Olimpica (4890 m): au cœur de la cordillère blanche

Notre prochaine étape est la Punta Olimpica, le col le plus élevé (à 4890 m d’altitude) de la cordillère blanche.


Quatre heures du matin, le réveil sonne. Comme à son habitude, Jérémy est le premier debout et réveille les deux autres. Nous préparons notre gruau froid traditionnel. Nous pensons être à 3300 m, nous avons donc 1600 m d’ascension aujourd’hui pour atteindre le sommet, ce qui est bien, mais pas exceptionnel. Ce qui rentre en compte, c’est l’altitude. Nous ne sommes pas habitués à monter si haut et avec le manque d’oxygène, tout effort physique devient rapidement pénible. À titre d’illustration, à 5000 m d’altitude, le taux d’oxygène de l’air est 50 % moins élevé qu’au niveau de la mer. Notre corps réagit à ce changement en produisant davantage de globules rouges, ce qui accélère l’acheminement de l’oxygène dans le sang.


Dehors, le jour se lève. Nous ne sommes même pas encore partis que Jérémy a une crevaison. Rapidement, nous réparons cela et partons. Il fait froid, nous roulons dans des vallées escarpées où le soleil ne sort que vers midi. Après 28 km de montée, nous arrivons au tunnel à 4680 m d’altitude qui traverse de l’autre côté des montagnes. Mais nous ne voulons pas passer par là, 500 m avant l’entrée du tunnel, à gauche, il y a un petit chemin de terre qui monte plus haut (4890 m). C’est l’ancienne voie, qui est très accidentée puisque l’on ne l’entretient plus depuis plusieurs années. Seuls un vélo ou une moto peuvent passer dû aux nombreux éboulis bloquants le passage. J’hésite à aller plus haut, je ressens déjà les effets de l’altitude et pédaler est déjà très difficile : maux de tête, vertiges et faiblesses m’accompagnent. Néanmoins, nous sommes venus jusqu’ici pour monter le plus haut possible et il n’est pas question de se défiler maintenant. Nous poussons sur les quatre derniers kilomètres de chemin escarpé pour atteindre le col à 4980 m.


Au sommet, je m’effondre, je n’en peux plus. Ma tête me fait horriblement souffrir, mais ne m’empêche tout de même pas d’admirer la splendeur qui m’entoure. Ici, il n’y a aucun bruit, aucune végétation, aucun signe de vie. Que de la neige et des roches. Et des lacs, des lacs aux eaux turquoise, d’un éclat intense, avec de multiples cascades les alimentant. Je suis devant la beauté de la nature crue, sans aucun filtre, il n’y a que moi et elle à présent. Il n’y a plus rien d’autre qui existe. Dans ces moments-là, tous les petits problèmes de la vie courante disparaissent pour ne laisser place qu’à un sentiment de plénitude. Je me sens près et loin de tout en même temps. C’est plutôt agréable.



Nous franchissons l’étroit passage pour redescendre de l’autre côté des montagnes. Nous arrivons dans une vallée, dominée par le mont Huascaran (6768 m), plus haut sommet péruvien. Nous apercevons également de nombreux glaciers sur le flan des montagnes. C’est un chemin accidenté qui redescend jusqu’à la route pavée, à la sortie du tunnel. Cette dernière effectue de longs zigzags pour atteindre le fond de cette énorme vallée. Il n’y a personne sur la route, nous prenons nos aises et prenons les virages larges… Jusqu’à ce qu’une voiture de police arrive en sens inverse. Clément est devant et les flics l’arrêtent. Ils le menacent de lui donner une amende de 430 nouveaux soles pour « conduite dangereuse » (venant d’un Péruvien, c’est une vraie blague). Clément commence à s’énerver, c’est à ce moment-là que Jérémy intervient. Bien sûr, tout ce que veut le représentant de l’ordre c’est de l’argent. Jérémy s’entend finalement sur 30 nouveaux soles, soit 12 $ CAD. Satisfait, le policier rend le passeport à Clément et reprend sa route. Pour eux, les « gringos » (étrangers) sont toujours une source potentielle de revenu supplémentaire. Avec leur salaire de crève-faim, nous ne pouvons pas vraiment leur en vouloir (bien que nous soyons formellement contre ce genre de pratique).

Nous descendons ces innombrables zigzags pour finalement arriver à Carhuaz (2688 m), de l’autre côté de la Cordillère blanche. Nous restons dans les bâtiments de l’église centrale. Une bière pour célébrer le tout et au lit.


Quelques ajustements à Huaraz…


Le lendemain, nous nous rendons à Huaraz, plus au sud. Cela nous fait une courte journée, mais nous jugeons essentiel de nous arrêter ici : mes problèmes de vélo deviennent intenables et je dois trouver une solution une fois pour toutes. Huaraz est d’ailleurs un excellent endroit pour cela. Étant la plus grande ville au pied de la cordillère blanche, c’est une destination prisée par les touristes étrangers. Du même coup, cela signifie qu’il y a davantage d’investissements étrangers, donc possiblement du bon matériel de vélo. Je trouve en effet ce dont j’ai besoin; une nouvelle jante de 700 mm (de qualité satisfaisante) ainsi qu’un nouvel ensemble de rayons pour ma roue arrière. Je dois forcément marchander le tout, mais j’arrive à m’en tirer à bon compte. J’en profite également pour changer la cassette de ma roue arrière pour celle que j’avais achetée en Colombie (et que je traînais depuis). Cela fait, nous reprenons la route sans plus attendre.


La Carretera a Pastoruri; plutôt deux fois qu’une (dans la cordillère blanche)


Au sud de Huaraz, il y a un petit chemin traversant de nouveau la cordillère blanche, passant par le fameux glacier Pastoruri. Clément et moi voulons passer par là. Jérémy, pour sa part, décide de faire le tour par le sud. Nous nous séparons à l’entrée du chemin, 40 km au sud de Huaraz. Nous le rejoindrons dans quelques jours.


Le chemin est désert, nous avons la piste à nous deux. Nous avançons lentement, le chemin est de mauvaise qualité et légèrement montant. À l’entrée du parc (toute la cordillère blanche fait partie du parque nacional de Huascaran), on veut nous faire payer. Nous argumentons que nous avons déjà passé dans le parc national plus au nord et que personne ne nous a réclamé un droit de passage et que, de toute façon, notre humble budget ne nous ne le permettait point. Énervé, le garde-parc nous répond qu’en plus, comme nous sommes des cyclistes, nous allons devoir acquitter les frais pour «tourisme d’aventure » qui est évidemment beaucoup plus dispendieux. C’est l’impasse, nous ne voulons pas revenir en arrière et le garde ne veut pas en démordre.


Avec Clément, nous nous concertons de notre côté pendant que le garde et ses deux compagnons (une femme et un vieil homme) discutent dans leur coin. Nous voilà décidés à marchander un prix quand le vieux monsieur nous annonce, le sourire aux lèvres, que nous pouvons finalement entrer dans le parc gratuitement. Extrêmement surpris, nous lui faisons répéter plusieurs fois. Enfin, reconnaissants, nous poursuivons notre chemin sans demander notre reste. Nous étions au début suspicieux, un tel revirement d’attitude avait quelque chose d’inquiétant. Néanmoins, rien de fâcheux n’arriva. Force est d’admettre que ce vieil homme nous a, j’ignore comment, donné un sacré coup de pouce!


Cette partie de la cordillère blanche est recouverte de Puya Raimondis, cette gigantesque plante

endémique à la région pouvant vivre jusqu’à 100 ans. Vu le peu de végétation qu’il y a par ici, il est des plus surprenants de croiser l’un de ces mastodontes de la flore.

À 16 h 30, je demande à m’arrêter. Nous sommes dans une clairière protégée du vent, il y a un point d’eau à proximité, il commence à se faire tard et plus que tout, je suis épuisé. Clément préfèrerait continuer, il est vrai que nous avons encore un long chemin jusqu’au prochain village. Peu importe, je m’obstine et nous montons les tentes à cet endroit. Nous estimons être à 4300 m, plus ou moins, ce qui est (et restera) notre plus haute nuit de camping. Et avec raison, car il fait froid! Non loin, il y a une cascade descendant directement des neiges éternelles. Nous nous y rendons pour notre douche quotidienne. Nous sommes habitués aux baignades d’eau froide, mais celle-là fut particulièrement difficile et douloureuse. Pourtant, après nous nous sentons bien, comme toujours.


Le lendemain matin, tout est gelé à l’extérieur. Nous nous réveillons à 5 h, afin de partir dès l’aurore. Nous mangeons notre traditionnel gruau froid, agrémenté de morceaux de glace cette fois-ci. Dès que nous montons sur nos vélos, nous nous sentons beaucoup mieux. L’exercice physique nous réchauffe et nous n’avons rien d’autre à faire que de nous concentrer sur nos mouvements. Tranquillement, la température ambiante monte. Le soleil, lui, frappe, comme toujours à cette altitude. Il nous reste 34 km de chemin avant de rejoindre la route. Les paysages sont encore une fois incroyables, avec les grandes vallées que nous traversons, entourées de hauts sommets desquels coulent de petits ruisseaux rouge clair. Nous ignorons l’altitude que nous atteignons cette journée-là, mais nous supposons entre 4800 et 4900 m. De retour à la grande route, nous avons 50 km de descente pour rejoindre le village de La Union, à 3200 m. Nous arrivons trempés et gelés, sous la pluie battante. La mairie nous installe dans un vestibule poussiéreux de l’arène municipale de corrida, ce qui sera la seule fois de tout le voyage.


Réveil à 4 h 30, nous avons une autre belle journée devant nous. Au programme, 60 km de dénivelé positif et 80 km de dénivelé négatif (pour un total de 140 km). Nous devons rejoindre Jérémy le soir même à Huanuco. Le plus gros problème de la journée est quand mon pneu avant éclate, car malheureusement mon frein y frottait. Je l’ai remplacé par mon ancien pneu que j’avais pris soin de réparer avec du fil à pêche. Je recouds celui-ci de la même façon et il tiendra jusqu’à Cuzco, où je recevrai un nouveau pneu. Nous resterons à la caserne de pompiers de cette ville et considérant la gentillesse de nos hôtes, nous nous permettons quelques jours de repos.


Tout droit pour Cuzco!


Pour nous rendre à Cuzco, nous prenons la route principale directe, suivant les montagnes. Cette partie du Pérou sera moins intéressante que le nord et moins riche en aventures rebondissantes. C’est que nous avons un impératif de temps à respecter, un des amis des Français les rejoignait à Cuzco et nous devions être là-bas dans un délai précis. Nous passerons par les municipalités de Huariaca, Cerro de Pasco, Carhuamayo, La Oroya, Huancayo, Quichua, Mayoc, Ayacucho, Chumbes, Andahuaylas, Bancay et Curahuasi.


Notre première soirée après Huanuco, soit le 18 juillet, nous la passons dans le petit village de Huariaca. Nous campons dans l’espace réservé aux célébrations de la communauté. Le soir, nous avons la visite des membres du « conseil du village », qui se réunissent pour discuter des prochaines festivités. Ce sont surtout des femmes indigènes qui y participent. Le plus marquant est de les voir piger dans leur énorme sac rempli de feuilles de coca tout en fumant de ces cigarettes locales péruviennes (qui sont grossièrement roulé avec un tabac puissant). Ces femmes ont une prestance hors pair et inspirent le respect.


Puis, le lendemain, nous arrivons à la municipalité de Cerro de Pasco, qui s’est autoproclamée « plus

haute ville au monde ». Cela n’est pas faux, puisque c’est la seule population de plus de 50 000 habitants à une altitude de 4300 m (mais une ville de moins de 50 000 habitants et plus haute pourrait-elle en dire autant?). Néanmoins, la ville n’a pas grand attraits à l’extérieur de cela. Nous arrivons sous la neige, pour chercher un endroit pour la nuit. Comme nous sommes dimanche, c’est plus compliqué que d’habitude, car beaucoup d’institutions sont fermées. C’est dans les locaux de la compagnie privée de sécurité publique Serenazgo que nous trouvons refuge. Un chic agent de sécurité du nom de José nous vient en aide et nous passons la soirée en sa compagnie. Il ne cesse de nous appeler « Les Conquérants » (en référence à notre passion pour l’aventure) et me donne personnellement le surnom de « Samuelito » (petit Samuel).


Cette soirée-là, je tombe malade et je vais le rester jusqu’à Cuzco (pendant deux semaines). Des douleurs d’estomac ainsi qu’une forte fièvre me ralentissent et me forcent à m’arrêter souvent. À ce sujet, les Péruviens ont une panoplie de remèdes maison loufoques à me conseiller. Cela passe par snifer de l’alcool à friction et va jusqu’à me gargariser la gorge avec ma propre urine. Bien sûr, ce sont les exemples les plus frappants, on m’a refilé un bon nombre de plantes à prendre en infusion. Il y a aussi le café de Habas, une énorme fève très consommée par ici, qui m’a bien surpris. C’est bon pour la toux. Mais reste que souvent, j’ai eu l’impression que tout le monde est un peu médecin au Pérou.


Le midi du 20 juillet, deux mères de famille nous invitent à la maison pour partager le repas, ravies de croiser deux étrangers dans ce village (Ninacaca) perdu. Elles nous préparent un succulent « arroz con pollo » (littéralement riz avec poulet) et nous répètent, comme les Péruviennes disent souvent, que si nous voulons nous marier elles ont des amies qui n’attendent que ça.


Nous sommes sur un haut plateau aux alentours de 4000 m. Cet endroit est fameux pour son maca, ce légume racine unique (cela ressemble à un navet) aux multiples vertus. C’est à peu près la seule chose comestible qui pousse dans les environs, si ce n’est de quelques patates. Le climat est si rude (soleil très fort le jour et températures froides la nuit) que les cultures sont rares. À l’exception des lamas, des alpagas et des moutons, qui mangent l’herbe drue des Andes, nous apercevons très peu de vie dans les parages. Un autre habitant incongru de cette région est le flamand rose, qui aime bien se promener sur les berges du grand lac Junin.


Cette même journée, j’ai la joie de casser mon support à bagages arrière. Il devait être affaibli depuis quelque temps (car ici la route est très belle et il n’y a pas de raison pour qu’il cède soudainement) et il a finalement craqué aujourd’hui. Puisque c’est de l’aluminium, impossible de le ressouder (en tout cas, pas ici), je dois donc trouver une autre solution. Jusqu’à la fin de mon voyage, j’aurai des problèmes avec mon présentoir. Donc, je vous le dis, conseil à tous : pour un voyage à vélo, ne pas prendre un présentoir en aluminium!


Nous restons une journée entière à la mairie de Carhuamayo car je suis trop faible. Impossible de me lever, Clément s’occupe de faire les courses. À La Oroya, la municipalité nous loge gentiment dans un hôtel. À Huancayo, ville d’une certaine importance, c’est avec les pompiers que nous restons. Plus loin, dans le petit village de Mayoc, c’est un couple de vieux qui nous prêtent un local de leur maison pour passer la nuit. Le vieil homme ne cessera de nous appeler «Papi», ce qui est un terme affectueux. Le lendemain, nous arrivons à Ayacucho. C’est encore les pompiers qui nous accueillent humblement.


La portion de route entre Ayacucho et Cuzco est impressionnante; ce sont cinq cols consécutifs rapprochés, au-dessus des 4000 m et espacés par des vallées à 2000 m d’altitude. C’est beaucoup de montées…et de descentes. L’important, c’est de dormir dans les vallées, où le climat est plus clément. Presque chaque jour, nous avons un 40 km de montée et l’équivalent de descente. Rien n’est plat. Malheureusement pour moi, je devrai à deux reprises, embarquer dans la boîte d’un camion. À contrecœur j’accepte, car je me vois forcé d’avouer que mon état ne me permettait plus de pédaler.


Au Pérou, il existe un type de mouche très vorace qui suce le sang et laisse de petites plaies. Elles restent en basse altitude, généralement en dessous des 2000 m. Lorsque nous avons une montée en basse altitude, impossible d’y échapper : elles sont plus rapides que nous. Nous nous faisons dévorer et avons des démangeaisons durant plusieurs jours. Le pire c’est lorsque nous avons une crevaison et que nous sommes forcés de rester sur place; elles sont sans pitié et nous attaquent par centaine. De plus, le climat est très sec ici, voire désertique. Les cactus dominent les paysages bordés de sable et de roches.

Le 31 juillet, dans le village de Chincheros, nous assistons à la fête de la communauté, qui est

couronnée par une corrida. Nous y assistons avec grand intérêt. Dans l’arène défilent nombre de taureaux, des petits comme des gros, et de nombreux personnages déguisés se risquent à provoquer l’animal. Néanmoins, cela ressemble plutôt à un spectacle d’humour qu’autre chose, les gens de l’arène ne prenant pas de véritables dangers. Tous les villageois célèbrent et dansent sur cette musique traditionnelle qui n’est décidément pas ma préférée.


Le 1er aout, une famille de fermiers nous apercevant nous fait de grands signes. Nous allons les voir et ceux-ci nous invitent à manger avec eux. Au menu, habas (fèves) bouillies, patates bouillies et fromage frais. Ce repas d’une simplicité suprême est délectable. Nos hôtes nous posent beaucoup de questions sur notre terre natale, comment sont les gens là-bas, etc. Bien sûr, ils sont très curieux de savoir à quoi peuvent bien ressembler les pays dits occidentaux, dont ils entendent tant parler à la télévision. Nous répondons de bonne grâce à leurs interrogations.


Au village de Curahuasi, nous restons dans ce qui ressemble à un palais de justice. Cela nous impressionne chaque fois à quel point les gens nous font confiance. Après tout, je doute fortement qu’au Canada l’on fasse de même avec des étrangers qui débarquent en vélo.


Le 7 août, nous arrivons à Cuzco. Nous restons peu de temps dans la ville, puisque c’est très touristique, nous savons que nous ne pourrons passer la nuit ici. Nous achetons le matériel de vélo dont nous avons besoin et quittons la ville par l’est. Plus haut dans les montagnes, dans le petit village de Huayllarcocha, un jeune couple nous invite à camper dans leur cour. Ils sont visiblement ravis d’accueillir des étrangers chez eux.


Une étape au Machu Picchu


Nous nous préparons à visiter la célèbre Cité perdue des Incas, le Machu Picchu. De passage par Cuzco, nous en profitons pour aller voir ce site archéologique. C’est un endroit impressionnant, je dois avouer, et j’ai été heureux de le voir de mes propres yeux. Outre cela, c’est très touristique, ce qui est son principal point négatif. Pour conclure, sachez que, comme à notre habitude, nous nous sommes arrangés pour trouver le moyen le plus économique pour parvenir à nos fins.


Le temps de notre expédition, nous laissons nos vélos à Urubamba, dans le magasin d'un couple de Péruviens que nous avons rencontré, Aby et Romuald.


De Cuzco à Juliaca


Après Cuzco, nous quittons les montagnes pour les hauts plateaux de l’Altiplano, cette région de steppes désertiques côtoyant les 3500 m d’altitude et se partageant entre quatre pays : le Pérou, la Bolivie, l’Argentine et le Chili. Nous sommes maintenant quatre cyclistes. Romain, un ami de Jérémy et Clément, est venu nous rejoindre pour pédaler en notre compagnie pendant trois semaines. Il doit rapidement s’adapter à l’altitude ce qui n`est pas forcément évident. Malgré tout, il arrive à suivre.


Le 14 août, nous passons la nuit dans le village de Cusipata. Nous voilà en pleines célébrations de la vierge de Asunta. Il y a fanfares, feux d’artifice et rigolades toute la nuit. Ce qui attire le plus mon attention, c’est la présentation de différentes danses traditionnelles par les élèves de l’école locale. Ils ont la culture de la danse innée en eux et ils sont très impressionnants avec leurs costumes multicolores.


Nous arrivons à Juliaca le 17 août. C’est une ville des plus sales que j’ai pu voir jusqu’à maintenant. Nous arrivons en plein jour de marché, ce qui fait en sorte que les rues sont bondées. C’est chez Giovanni que nous prenons refuge. Un couple de cyclistes, Guatémaltèque-Africaine du Sud (le duo le plus hétéroclite qu’il m’a été donné de rencontrer), nous ont conseillé de les contacter. À juste titre, car Giovanni s’avère être un chic type. Nous restons deux journées chez lui, le temps de se rendre à Puno, la prochaine grande ville, pour obtenir nos étampes de sortie du Pérou. En effet, puisque nous comptons passer par le nord du lac Titicaca pour entrer en Bolivie, il nous faut régler les paperasses administratives ici, car il n’y a pas de poste de douane là-bas. On nous donne donc cinq jours pour sortir du pays.


Par le nord du lac Titicaca


Le lac Titicaca est considéré comme le plus haut lac navigable au monde. Après avoir vu cette immense étendue d’eau à 3800 m d’altitude, je n’ai pas de difficulté à le croire. Il s’étend sur 190 km de long et 80 km de large, se partageant le Pérou et la Bolivie. Il est d’un bleu marin intense et l’eau est cristalline par endroits. Sur les berges, ce sont souvent des cultures (petits champs partagés par des rangées de pierre) que nous observons, lorsqu’il n’y a pas trop de roseaux. Il y a également beaucoup d’eucalyptus. Nous campons plusieurs fois en bordure du lac et les couchers de soleil dont nous sommes témoins sont grandioses.


De Juliaca, nous partons vers le village de Huancané et de là nous suivons la rive du lac jusqu’à Tilali. C’est une région d’humbles paysans indigènes, où l’argent semble plutôt rare. On nous accueille bien, bien que notre présence ici leur paraisse des plus incongrues. Il y a beaucoup de petites montées rudes le long du chemin. Le 22 août, nous atteignons Tilali. Le village est désert, malgré le fait que nous soyons samedi. À la sortie de la communauté, il y a un poste de contrôle de la police péruvienne. Après avoir pris nos numéros de passeport en note sur une feuille de papier et s’être assuré que nous avions bel et bien nos étampes de sortie, l’agent nous laisse passer. Nous voilà maintenant en Bolivie, ce qui sera le thème du prochain article.



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