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Équateur: au centre du monde


L’Équateur est pour nous un pays d’équipe. Nous le traversons entièrement en 24 jours à quatre cyclistes. Plus on est de fous, plus on rit, mais plus il est difficile également de s’entendre sur une même idée. Heureusement pour nous, Wolfy, le cycliste allemand que nous rebaptisons le Payaso (clown, nom qui lui va à merveille), est un bon jack et de surcroît un excellent compagnon. Jérémy et Clément font une présentation des membres du convoi sur leur blogue (http://attrapemaroue.com/journal-n22/) ma foi fort juste, avec une bonne touche d’humour à mon avis.


L’Équateur est aussi, comme son nom l’indique, le pont entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud. Nous attendions avec impatience ce moment, afin de pouvoir mettre à l’épreuve la force de Coriolis (créant les grands courants marins des océans, sens d’une aiguille d’une montre au nord et antihoraire pour le sud) en admirant la chasse d’eau tournant du sens opposé au franchir de la ligne équatorienne. C’est la première chose que nous avons vérifiée en croisant la latitude zéro, cherchant désespérément un bol de toilette. La conclusion de nos observations est décevante, nous sommes malheureusement dans l’obligation de vous dire que c’est un mythe, la chasse d’eau tournant comme elle veut, dépendamment du modèle. Cela ne représente pas une quantité d’eau suffisante afin de reproduire, en miniature, les mouvements de nos océans; triste vie! Néanmoins, nous pouvons tout de même constater les autres grands prodiges de l’Équateur : l’absence de saisons (si ce n’est qu’une saison humide et une saison sèche), une division parfaite entre le jour et la nuit (et ce, à l’année longue), un soleil près de nous, puissant, surtout dans les montagnes et une végétation des plus diversifiées au monde. Il y a quatre climats distincts dans ce petit pays d’Amérique du sud; les îles Galapagos (où évidemment nous ne mettrons pas les roues), la région côtière, la cordillère des Andes et le bassin amazonien. Nous nous contenterons de visiter les hauts sommets du centre et une partie de la jungle. En bref, nous descendrons vers le sud dans les montagnes jusqu’à Quito (la capitale), puis tournons vers l’est pour rejoindre l’Amazonie, descendons jusqu’à Puyo, revenons dans la cordillère pour faire le tour du Chimborazo (point culminant de l’Équateur, à 6310 m, et sommet le plus éloigné du centre de la terre) et suivre la chaîne de montagnes jusqu’au Pérou.


Vélo en altitude


C’est donc à plus de 3 000 m d’altitude, sous une faible pluie, que nous entamons ce nouveau pays. Nous resterons une grande partie du temps au-dessus des 3000 m, en passant deux gros cols à 4000 et 4400 m. Il n’y a que notre détour du côté de l’Amazonie qui nous ramènera un peu au plancher des vaches (même s’il y a étonnamment beaucoup de vaches dans les montagnes aussi). Au sujet du climat, ce dernier s’avérera très clément avec nous, en nous versant une bonne quantité d’eau sur la tête quotidiennement. Bien sûr, être mouillé au niveau de la mer dans un climat tropical n’a rien de bien grave, or, être trempé à plus de 3000 m d’altitude, avec un vent glacial est une autre paire de manches. Nous apprendrons rapidement qu’en altitude, c’est le soleil qui réchauffe l’air ambiant. La nuit il fait froid et les jours ennuagés de même. Nous portons nos manteaux à l’ombre et nous nous promenons en t-shirts sous les rayons du soleil. Le soleil est très puissant et il peut faire toute la différence. Tellement puissant qu’il faut faire très attention; il brûle la peau sans grande difficulté. Nous avons donc toujours une réserve de crème solaire avec nous. Durant notre première journée, nous traversons les provinces de Carchi et Imbabura pour nous loger à la station de pompiers de San Gabriel. D’ailleurs, l’une des grandes forces de l’Équateur est assurément l’étendue de son corps de pompiers. Dans le moindre petit village, nous nous surprenons régulièrement à y trouver un établissement de bomberos, ce qui est parfait pour nous. En fait, nous en profiterons largement, visitant pas moins de 11 stations de pompiers équatoriennes pendant le peu de temps que nous passerons dans le pays.


Sortir des sentiers battus

L’environnement que nous observons lors de nos premières journées est très sec, voir désertique avec tous ces cactus. La route est également bien empruntée, ce qui n’est jamais amusant à vélo. En Équateur, il y a trois options de routes à suivre : celle passant par la jungle, dans l’est, l’autoroute parcourant les montagnes ou encore la route longeant la côte pacifique à l’ouest. La panaméricaine, route principale du pays, passe par les hauts sommets et engendre évidemment une bonne quantité de trafic, ce qui n’est jamais agréable en vélo. Pour remédier à cet inconvénient, nous trouvons rapidement une alternative qui nous en mettra plein les yeux. La nuit du 21 juin, nous la passons à la station de pompiers de la Laguna de Ibarra. C’est un excellent endroit pour camper, sur le bord du lac avec vue sur le volcan Imbabura (4609 m). Les pompiers nous font même une démonstration du talent de leurs chiens dressés pour le sauvetage (où nous sommes les cobayes). Par ailleurs, ils nous informent aussi d’un petit chemin qui passe à l’est du volcan Imbabura (contrairement à la Panaméricaine) et longe le sommet enneigé Cayambe (5790 m), en passant par les petits villages de La Esperanza, Zuleta et Olmedo. Le chemin est pavé par endroit, peu fréquenté et davantage authentique, tout en étant un raccourci pour atteindre le village de Cayambe. Le fait est que l’Équateur est une destination de plus en plus touristique et sortir des sentiers battus est le seul vrai moyen de découvrir le pays. Cela s’explique en partie par la beauté et la grande diversité de son environnement, mais également parce que c’est un endroit paisible, plus sécuritaire pour les étrangers occidentaux que ses voisins immédiats, notamment la Colombie et le Pérou. Puis, comme l’Équateur a adopté à son tour le dollar américain comme monnaie nationale, cela a fait en sorte d’attirer l’attention de nos voisins du sud. De nombreux retraités et expatriés américains peuplent les quartiers plus aisés des grands centres urbains et villages touristiques.


Le 22 mai, nous empruntons un petit chemin qui nous offre une vue incroyable sur le Cayambe. C’est le premier sommet enneigé que nous apercevons d’aussi près et nous en sommes ravis. D’autre part, c’est également le point le plus élevé de la ligne équatorienne, se trouvant exactement sous la latitude zéro. Le seul inconvénient est que comme il pleut tout le temps en Équateur, les nuages nous empêchent d’admirer toute l’ampleur de cette montagne. Peu importe, cela reste une journée magnifique. À Olmedo, hameau au pied de l’imposant sommet, nous nous arrêtons pour dîner. Nous avons tôt fait d’attirer l’attention, des Gringos à vélo au milieu de ce bled perdu. Le soir, nous sommes hébergés une fois de plus chez les pompiers, au village de Cayambe. Nous célébrons autour d’une bière les 10 000 km parcourus de Wolfy et de moi aussi en l’occurrence (deux jours plus tôt, le 20 mai).


Vivre à l’économique


La nourriture équatorienne n’a rien de sublime; le plat principal est généralement constitué d’une viande frite, avec patates frites ou riz, parfois accompagnés d’œufs frits, d’un peu de salade et d’un jus. Il n’y a pas toujours une soupe en entrée comme c’était le cas en Colombie. Nous nous en sauvons la plupart du temps entre 2 et 2,50 $US par personne par repas, ce qui est abordable. Si le prix est plus élevé, nous arrivons souvent à marchander, puisque nous sommes quatre. Par contre, plusieurs produits sont plus chers dans ce pays, dû aux nombreuses taxes, au tourisme croissant et au dollar américain en vigueur. Le matériel de vélo en est un très bon exemple, surtout si l’on recherche de la qualité. Néanmoins, nous réussissons tout de même à trouver des aubaines, comme 8 bananes pour 0,25 $US.


Séjour à la ferme


À Pifo, près de Quito, nous passons deux journées à la ferme de Palugo. C’est une famille d’Américains qui a fondé un projet d’agriculture en respectant les normes de permaculture il y a de cela de nombreuses années. À 2650 m d’altitude, la ferme bénéficie d’un climat clément à l’année longue, où tout semble facile à cultiver. Nous nous établissons confortablement dans le dortoir des bénévoles se situant au-dessus de l’étable. C’est avec grand plaisir que nous participons aux taches quotidiennes et acceptons les particularités de cette vie alternative. Nourrir et traire les vaches, et surtout donner le biberon aux veaux, ce n’est pas si facile que ça! C’est qu’ils sont voraces les petits. Nous aidons aussi à la confection du fromage frais (spécialité d’Amérique du sud) et du yogourt. Nous quittons les lieux en remerciant nos hôtes : Francisco, Nicole, Thomas, Matias et Mijael (et les autres).


En route pour l’Amazonie!

Suite aux conseils de gens rencontrés, nous décidons de faire un détour par la jungle pour éviter le trafic de la panaméricaine. En effet, la route des Andes entre Quito et Ambato, deux grandes villes du pays, est particulièrement bondée et nous acquiesçons pour contourner cette partie. Nous partons donc vers l’est pour Baeza. Seulement, nous devons tout d’abord franchir un col à 4000 m, qui sera notre premier à ce jour. Nous arrivons au sommet en début d’après-midi, alors que je me sens au plus mal, pas habitué à une telle altitude. Faiblesses, étourdissements, maux de tête et parfois nausées sont les symptômes accompagnant ces grandes montées. Les cinq derniers kilomètres sont les plus difficiles. Pour combler le tout, il se met à pleuvoir. Nous nous habillons comme des ninjas pour les 50 km de descente qui nous attendent. Je ne suis personnellement pas très bien équipé pour le froid alors je me débrouille comme je peux. Jérémy me conseille d’envelopper mes pieds dans des sacs de plastique à l’intérieur de mes sandales et franchement, c’est très efficace. Je me promets également d’éventuellement m’acheter des gants, les doigts étant particulièrement exposés lors des descentes. La vision est également un problème dans ce genre de situation, car avec la vitesse et la pluie, nous ne voyons pas grand-chose. Nous réussissons tout de même à atteindre le village de Baeza, où les gentils pompiers nous accueillent parmi eux. Ils sont si contents de nous voir qu’ils nous offrent bières et tequila équatorienne, sans se soucier d’être en service. Dans le dortoir, un tatoueur arrive à l’improviste pour orner les avant-bras des pompiers de motifs laissant à désirer. La situation est des plus loufoques, nous ne pouvons qu’en rire. Enfin, ces derniers nous informent que nous nous trouvons dans la vallée de la pluie et qu’il y pleut tous les jours. Voilà qui est rassurant!


La jungle équatorienne est vraiment magnifique, nous sommes impressionnés par la splendeur de la nature qui nous entoure. La végétation est d’une telle densité et d’un vert profond. Nous roulons à la lisière entre les Andes et l’Amazonie, ce qui offre de plus des paysages ravissants. La route descendant vers Tena et Puyo est bien pavée et peu fréquentée. À Tena, nous nous retrouvons dans une mission d’aide aux enfants démunis, qui nous accueille pour la nuit. Le lendemain matin, il pleut. Il pleut tellement que nous renonçons à prendre la route. C’est que la pluie de l’Amazonie, ce n’est pas n’importe quoi! Cela commence normalement vers 10-11h du matin et ne s’arrête pas avant 14h. Nous allons plutôt passer la journée dans la mission et aider avec les taches domestiques.


Le lendemain, nous sommes à Puyo, au croisement avec la route retournant dans les montagnes. À cet endroit, nous goûtons plusieurs choses étranges, telles que du thé de Guayusa et des larves de palmiers. Le thé de Guayusa est un peu amer, très énergétique et souvent consommé sous forme de jus pour accompagner le repas. Cela coûte presque rien ici alors que c’est hors de prix en Amérique du nord. De l’autre côté, manger des larves énormes (plus grosses que mon pouce) fut une expérience, ma foi, fort intéressante. En faisant les courses comme à l’habitude au marché local, nous apercevons plusieurs personnes en train de savourer de gros vers grillés à la broche. Cela capte aussitôt notre intérêt. Les marchands nous vantent toutes les propriétés magiques de ces vers et nous ne pouvons faire autrement que d’y goûter. Nous commençons par une larve grillée chacun (ce qui n’a rien d’exceptionnel, de la chaire grillée quoi) puis nous nous lançons pour le vers entier vivant. Là, c’est plus difficile. Premièrement, il faut laver le vers, qui est plein de copeaux de bois, ensuite le tenir par la tête et croquer le corps d’un coup. Il ne faut pas le tenir trop longtemps dans sa paume car la petite bête, mangeant du bois, elle sait mordre. Croquer à pleines dents est préférable, pour ne pas sentir le corps bouger dans la bouche. La tête ne se mange pas, il faut l’arracher en mordant. Après, c’est long à mastiquer, étant plutôt caoutchouteux, et ce n’est pas particulièrement savoureux. Je peux vous dire que nous avons hésité lorsque nous avons eu l’insecte dans les mains (surtout Wolfy, le pauvre, amoureux des bêtes) mais sous le coup de l’encouragement des passants, nous avons tenté le coup.


À la découverte du Chimborazo


De Puyo, nous revenons dans la cordillère par le bled touristique de Baños, en suivant le canyon du Rio Verde. C’est un endroit peuplé de touristes, ce qui enlève tout charme d’authenticité. Nous rencontrons trois cyclistes français, les Biketrippers, eux aussi en route pour l’Argentine et que nous recroiserons plusieurs fois sur la route durant le reste du voyage. Notre plan est maintenant de prendre la voie faisant le tour du Chimborazo (plus haut sommet d’Équateur, à 6310 m) par l’ouest et traverser la Reserva de produccíon faunística del Chimborazo pour ensuite rejoindre la panaméricaine par Riobamba. Nous voulons éviter à tout prix Ambato (l’un des grands centres urbains du pays), donc nous la longeons par le sud. La nuit du 31 mai, nous nous arrêtons dans le petit village de Pilahuin, sur le versant nord du Chimborazo. Nous sommes dimanche et tous les villageois sont rassemblés autour du terrain de soccer pour observer les équipes locales s’affronter. C’est une communauté minuscule, or, authentique et accueillante, ce que nous recherchons. Les habitants, surtout des indigènes, sont contents de nous voir et nous invitent à passer la nuit dans le local du club de foot (soccer) du coin. Nous nous y accommodons et prévoyons nous lever à 3h le lendemain matin. Nous voulons atteindre le sommet de la pente à l’aube en espérant avoir une vue dégagée sur l’énorme volcan. Inévitablement, notre ingénieux plan tombe littéralement à l’eau; à notre réveil, aux petites heures du matin, c’est une pluie battante qui a lieu à l’extérieur. Nous nous rendormons donc en espérant que d’ici une heure à deux heures cela passera. Vers 7h, mère nature s’est calmée et nous pouvons entamer notre journée. Ce répit ne dure pas longtemps, la pluie repartant de plus belle et un vent glacial se lève peu de temps après. Après 30 km de montée, nous n’en pouvons plus; nous sommes tous les quatre frigorifiés. À cet effet, nous allons demander si nous pouvons nous abriter dans une école. À noter que cette route passe au milieu de rien; il n’y a que quelques habitations indigènes éloignées dans les collines. Nous avons beau être endurant, cet humble établissement scolaire est notre seul secours possible. Ainsi, nous nous réjouissons que la maîtresse de classe nous ouvre sa porte le sourire aux lèvres. C’est une institution éducative pour les enfants autochtones de la région. Ils y apprennent l’espagnol et le quechua, plus importante langue indigène du pays (venant de l’empire Inca). À l’intérieur, il n’y a que deux pièces; une salle de classe et un grand vestibule. Les enfants sont tout excités par notre arrivée et rigolent en nous voyant greloter. C’est que le froid ne semble pas les affecter, eux. Lorsque nous leur disons d’où nous venons, cela les impressionne grandement; aucun d’eux, pas même les enseignantes n’ont déjà visité une région autre que le versant du Chimborazo. Ils portent tous un poncho, un chapeau haute-forme de paille (appelé chapeau Panama, qui, malgré son nom trompeur, est originaire de l’Équateur) ou un bonnet de laine de lama, typique des descendants des Incas. S’ajoute à cela des bottes de pluie en caoutchouc, seul élément de leur habit les rapprochant de la culture occidentale. Ils ont la peau des joues rougie par la dureté du froid et probablement du soleil aussi.


Nous les remercions de leur bonté et poursuivons notre périple. Par grâce, le ciel se dégage et nous pouvons ainsi nous réchauffer. Du même coup, le sommet s’offre à nous et nous apercevons enfin sa splendeur. Nous avons l’impression d’être tout près de lui, c’est extraordinaire. À cette altitude, il y a très peu de plantes qui poussent, on se croirait dans un désert. Les seuls animaux que nous apercevons sont des vicuñas (ou vigognes en français, je garderai néanmoins l’appellation espagnole pour le récit du voyage). Les vicuñas sont des camélidés d’Amérique du sud, au même titre que les lamas, les alpacas et les guanacos. Les lamas et les alpacas nous sont les plus connus; ce sont des animaux domestiques élevés principalement pour leur laine, secondairement pour leur viande (et pour leur lait également, selon ce qu’on nous a dit, bien que j’en aie personnellement jamais vu). Ils vivent dans les hautes montagnes des Andes, souvent dans des endroits reculés et ont une longue tradition de proximité auprès des indigènes, depuis le temps des Incas. D’ailleurs, ils partagent généralement les mêmes terres, isolés dans les montagnes, protégés des envahisseurs. Pour leur part, les vicuñas et guanacos sont dits les descendants sauvages de leurs deux cousins, respectivement l’alpaca et le lama. Sur ce versant du Chimborazo, c’est un parc national où les vicuñas broutent en toute tranquillité. Nous roulons quelques kilomètres à cette altitude, en faisant une boucle à 4400 m (dépassant notre ancien record de 4000 m), avant de redescendre par le sud à Cajabamba. Là, nous restons avec les pompiers qui ont, malgré leur grand cœur, l’une des stations les plus désordonnées que nous ayons visitées jusqu’à maintenant.


Le sud de l’Équateur

La route de Cajabamba jusqu’à Cuenca est jolie et peu empruntée. Ce sont de nobles paysans qui occupent ces terres. Nous voyons pour la première fois des plants de quinoa, aux tons violacés. Nous traversons également de grandes forêts de conifères, parsemées de prairies cultivées et entourées de volcans intimidants. Puis, près du village de Alausi, les pentes prennent des inclinaisons peu communes. Nous

croisons un cycliste français venant du Pérou qui n’en peut plus de ces montées vertigineuses, poussant son vélo la moitié du temps. Heureusement pour nous, nous avons une bonne descente pour rejoindre cette communauté. La qualité du pavée y est d’ailleurs remarquable, peu d’endroits en Amérique du sud peuvent se vanter d’en faire autant. J’en profite donc pour dépasser mon record de vitesse, atteignant les 89 km/h. De plus, nous avons un problème mécanique; le moyeu arrière de Clément lâche d’une telle façon que sa cassette tourne dans le vide et que pédaler devient complètement inutile. Nous le poussons jusqu’au village de Chunchi où, pour aussi peu de 5 $US, un gentilhomme accepte de remonter les rayons sur la roue arrière de Clément. Heureusement, Jérémy avait un moyeu de rechange (qu’il a donné à Clément) alors pas besoin d’en acheter un nouveau.


Cuenca est une ville coloniale d’une taille raisonnable, troisième en importance du pays. Une partie de son centre a été classée patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco avec raison. Nous en admirons l’architecture bien entretenue. Le soir, nous faisons notre routine habituelle pour trouver un logis gratuit pour la nuit. La première station de pompiers nous refuse, la deuxième nous met en attente. Pendant ce temps, Jérémy et Wolfy partent à la recherche d’un autre refuge potentiel. Ils sont interceptés sur le chemin par un expatrié américain en voiture. Il leur demande seulement où ils comptent passer la nuit. Il n’hésite pas un instant à les inviter à la maison, même si Jérémy lui précise que nous sommes un groupe de quatre. Une heure plus tard, nous sommes devant chez lui, où sa femme Marlène nous reçoit. Nous sommes traités comme des rois, tout confort avec une nourriture de choix. Nous abusons presque en restant chez eux une journée de plus pour nous reposer. Nous garderons un souvenir mémorable de ces amateurs de cyclotourisme retraités en Équateur, Mark et Marlène.


Le lendemain, 6 juin 2015, nous sommes de nouveau sur les vélos. Nous remontons au-dessus des 3 000 m et traversons de larges régions recouvertes de Paramo, cette végétation riche et unique aux Andes humides. Nous restons dans le centre communautaire de Susudel, minuscule communauté se trouvant sur notre route. C’est la fête au village, avec un tournoi d’importance de footsal (soccer intérieur). Le seul élément qui nous manque est une douche ou du moins un robinet quelconque pour se laver. Il y en a un, seulement il se trouve au milieu de la place du village, en plein centre de la fête. Nous nous arrangeons en utilisant le sac rétractable Dromedary de MSR 10L des français (j’en ai personnellement un de 4L) en guise de pomme de douche. Nous nous plaçons derrière le centre communautaire, plus à l’abri des regards. Néanmoins, les passants font mine de ne pas nous voir. Le plus difficile est de gérer les enfants qui sont TRÈS curieux de savoir ce que nous faisons. Pour eux, avoir quatre cyclistes gringos dans leur village est le comble des festivités.


Pour arriver à Loja, dernière ville que nous croiserons dans ce pays, nous empruntons la voie ancienne, passant par l’arrière pays et nous faisant économiser une dizaine de kilomètres. A notre plus grand plaisir, l’entrée du chemin est bloquée par un éboulis refusant l’accès aux véhicules mais ne nous décourageant pas à passer par-dessus, nous sommes donc seuls sur la voie. Nous longeons plusieurs cours d’eau et passons par de petites communautés indigènes. Les hommes autochtones dans cette partie de pays portent la chevelure longue, ce qui est très rare. Il est généralement mal vu pour les sud-américains d’avoir la crinière allongée, réservée comme marque de féminité. Une marchande bienveillante nous informe, le sourire aux lèvres, qu’il y a de nombreuses personnes « comme nous » dans un village dans les environs. Elle entend par là des hommes blancs. Je suis surpris à quel point elle insiste sur cette différence, comme si nous appartenions à deux races totalement différentes. Cette remarque m’avait marqué. Je côtoie des indigènes tous les jours et je n’avais jamais fait une telle distinction entre hommes blancs et autochtones. Or, elle a raison, ce sont deux modes de vies distincts. Nous passons la nuit dans la minuscule station de pompiers de Loja.


Les trois derniers jours en Équateur sont probablement les plus coriaces que nous ayons eus jusqu’à maintenant. Les pentes sont longues, très escarpées et parfois très boueuses. Il pleut beaucoup. Nous remontons tout d’abord à 3 000 m pour redescendre aux altitudes de la jungle de l’autre côté. Il y a très peu de circulation par ici étant donné la piètre qualité des chemins. Par contre, comme toujours dans ces petits endroits isolés dans les montagnes, les vues sont incroyables. Près du village de Yangana, un sympathique paysan nous accueille chez lui et nous offre une vingtaine de granadillas (un type de fruit de la passion), l’un de mes fruits préférés. Nous nous régalons des jours durant de ce délice. C’est après le village de Palanda, à 68 km de la frontière péruvienne, que la situation devient vraiment critique. Ce n’est plus pavé, c’est de la grosse boue et les pentes sont encore plus inclinées. Descendre n’est alors guère plus agréable que monter. C’est l’un des rares endroits où je suis forcé de pousser mon vélo.


À Zumba, nous passons la nuit au terminal de bus. Le lendemain matin, il ne nous reste que 25 km pour franchir la frontière du Pérou. Il y a un poste de contrôle militaire sur le chemin. Les trois gendarmes à priori farouches se révèlent finalement très loquaces. C’est qu’ils n’ont rien à faire de leurs journées, isolés de la société dans leur petit poste de frontière. Ils tiennent à prendre des photos avec nous (ce qui n’arrive normalement jamais avec les militaires) et insistent même pour que nous posions avec leurs kalachnikovs. Soudain, une voiture arrive, ils reprennent leurs armes (non-chargées) pour questionner le conducteur, arborant un air sévère. Puis, une fois le véhicule passé de l’autre côté de la simple barrière de bois, ils reviennent le sourire aux lèvres pour parler avec nous. Nous arrivons vers midi à la rivière Canchis, délimitant la frontière avec le Pérou. Vous pourrez lire, dans le prochain article, mes aventures au pays des Incas.


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